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De semblables considérations peuvent nous rendre capables de supporter avec un passable degré de patience le fardeau de la vie, et de marcher avec une résignation pieuse et inébranlable, jusqu’à ce qu’arrivés au terme de notre voyage, nous remettions notre dépôt entre les mains de celui qui nous l’a confié, et que nous recevions de lui la récompense proportion née à notre mérite… Si cette lettre venait à tomber entre les mains de l’une de nos joyeuses connaissances, l’on correspondant et ses solennels principes exciteraient probablement beaucoup de rire et de raillerie ; mais je crois pouvoir me hasarder à te l’envoyer. »


Singulier mélange de libertinage d’esprit et de dévotion ! Je comprends que Jefferson se sentît un peu embarrassé de ses a solennels principes. » Dans sa bouche, ces saintes formules ressemblaient un peu à une recette contre la tristesse et l’inquiétude. Il était optimiste par tempérament et par système, et cinquante-trois ans après avoir oublié Mlle Rebecca Burwell, il avait le même parti pris de vivre satisfait et confiant, sans éprouver le même besoin de faire appel aux sentimens religieux pour s’affermir dans son dessein.


« Vous me demandez si je voudrais recommencer mes soixante-dix ou plutôt mes soixante-treize ans ? A quoi je réponds sans hésiter : Oui, je trouve comme vous qu’à tout prendre ce monde dans lequel nous vivons est bon, qu’il a été organisé dans un sentiment de bienveillance, et que nous y recevons en partage plus de plaisir que de douleur. Il y a bien (qui pourrait le nier ?) des esprits mélancoliques et hypocondriaques, tristes habitans de corps malades, toujours dégoûtés du présent et désespérant de l’avenir, qui vivent sans cesse dans l’attente du mal, parce qu’il peut arriver. Je rappelle à ces gens-là toutes les douleurs causées par des maux qui ne se sont jamais réalisés. Mon tempérament est sanguin et confiant. Je dirige ma barque, l’espoir en tête, laissant derrière moi la crainte. Mes espérances me trompent quelquefois, mais pas plus souvent que les tristes présages des mélancoliques. »


Cette confiance impétueuse dans l’avenir, qui inspire le mépris du danger parce qu’elle empêche de le prévoir, mais qu’il ne faut point confondre avec le courage, bien qu’elle en tienne parfois lieu, ce fut bien souvent le secret de la force et des fautes de Jefferson. La jeune ardeur qui l’animait encore dans ses vieux jours lui faisait aborder à vingt ans l’étude du droit, des mathématiques, de la physique, de l’histoire naturelle, de la philosophie, des arts et des lettres, avec cette curiosité encyclopédique qui est assez ambitieuse pour vouloir franchir les limites imposées par Dieu à la science humaine, et qui est trop impatiente pour les atteindre. Son goût naturel pour les plaisirs et les témérités de l’esprit trouva de bonne heure un aliment dans les leçons du docteur Small, savant professeur écossais de l’université de Williamsburg, et dans les conversations de