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— profitera sans doute de leur exemple, » reprit fièrement Patrick Henry sans même prendre le soin de recommencer la phrase interrompue. L’assemblée vota ses propositions par 20 voix contre 19.

Telle fut la première scène politique à laquelle assista le jeune étudiant qui était appelé à devenir l’organisateur et le chef du parti républicain ; tel fut le premier triomphe politique de ce Patrick Henry que la légende révolutionnaire représente comme le plus grand orateur du Nouveau-Monde. Petit-neveu de Robertson, après avoir été coureur de bois par passion de la liberté et de l’oisiveté, puis marchand et cultivateur par nécessité, Patrick Henry avait fait deux fois banqueroute pour avoir, derrière son comptoir, trop joué du violon, trop lu Tite-Live, et plus songé à observer le caractère de ses pratiques qu’à les faire payer. Gendre d’un aubergiste par amour et son associé par obligeance, il était resté longtemps un beau parleur de cabaret faute d’un plus noble auditoire, puis avait étudié le droit pendant six semaines, s’était fait avocat, et avait bientôt surpris, séduit et entraîné par les éclats d’une éloquence colorée ceux de ses rivaux qui se préparaient à rire de la grossièreté de ses vêtemens, de la difformité de sa taille, de la gaucherie de ses manières, de l’incorrection de son langage et des vices de sa prononciation. De tous les révolutionnaires américains, le plus artiste et le moins politique par tempérament, d’humeur à la fois indolente et hardie, sociable et capricieuse, enjouée et méditative ; ignorant et sensible aux charmes des lettres ; moraliste plein de sagacité, bien que paresseux d’esprit et bienveillant de cœur ; généreux, sympathique, toujours tout entier à ses émotions, et les communiquant à ses auditeurs autant par l’ardeur du geste, du regard et de l’accent que par l’éclat des expressions ou la force des argumens ; lutteur habile dans une assemblée un jour de bataille, mais presque toujours trop dominé par ses impressions pour agir en vertu d’un plan longuement suivi ou de principes bien arrêtés ; également étranger à l’esprit de gouvernement et à l’esprit de parti, également amoureux de la popularité et de la patrie. Pendant dix ans, Patrick Henry fut dans les assemblées de la Virginie l’orateur de l’opposition sans en être le chef, plus soucieux de tenir l’opinion en éveil que de la diriger, d’enflammer l’imagination des masses que de prendre de l’ascendant sur ses collègues, toujours à l’avant-garde et les devançant de quelques pas, — l’un des premiers à prévoir et à souhaiter l’indépendance, l’un des premiers à partager les dangers de ceux qu’il excitait à la révolte, — tour à tour tribun et soldat, instigateur et compagnon d’amies des insurgés virginiens.

Quatre ans après lui, Jefferson, devenu avocat, entrait dans l’assemblée et venait s’y ranger parmi les plus fermes défenseurs des libertés américaines. Il n’avait ni la richesse d’imagination et d’émotion,