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mauvaises passions dans cette âme pervertie. Tantôt il cherche des distractions à ses remords dans les orgies brutales, tantôt il se livre contre sa femme et ses enfans à tous les emportemens de la fureur.

La peinture de ces trois âmes est faite avec autant de vigueur que de délicatesse ; voilà bien la poésie de la réalité. Qui les rend si dramatiques et si grands, les ouvriers de M. Ludwig ? Les luttes et les souffrances de l’âme. Quand les passions sont vraies, quand les douleurs sont profondes et profondément observées, l’âme du plus humble des hommes, sous la main d’un artiste, vaut l’âme de César ou de Brutus. À propos de la Colomba de M. Mérimée, on a pu rappeler ici même l’Électre de Sophocle ; certaines pages du roman de M. Ludwig font penser à la tragédie antique. Et notez qu’il n’y a pas de prétentions, pas de déclamations ; ces analyses du cœur sont bien modernes. L’exécution répond à la force de la pensée, le style est original comme la conception première. L’auteur souffre autant que ses personnages, il s’associe aux destinées de la maison aux volets verts, et sa souffrance éclate çà et là avec un lyrisme d’un caractère singulier ; on dirait un sanglot ou bien un rire amer. Remarquez surtout cette espèce de refrain qui revient par intervalles : Il faisait de plus en plus sombre dans la maison aux volets verts, et lorsque Fritz arrive au cabaret, tout plein de ses remords et cherchant à s’étourdir, ce cri qui s’échappe de vingt bouches avinées : Le voilà ! le voilà ! on va s’amuser, on va rire ! — Da kommt er ja ! Nun wird’s famos !

J’essaierais en vain de reproduire l’étrange effet de ces tableaux ; il faut lire les pages de M. Ludwig. Son œuvre ainsi préparée, l’auteur va enfin amener les catastrophes. Fritz ne recule plus devant la pensée du crime ; il est décidé à se débarrasser de ce frère dont la présence lui rappelle son infamie. Il croit qu’en tuant son frère, il tuera son remords. Apollonius est mandé au village voisin pour réparer la toiture d’un bâtiment ; il mettra lui-même la main à l’œuvre, il montera sur le toit, et déjà ses instrumens, ses cordes, ses échafaudages, tout est prêt. Fritz, d’un coup de couteau, fait une entaille profonde et invisible dans la corde qui doit le soutenir ; il a disposé les choses de telle façon qu’Apollonius doit tomber mort sur le pavé. Or un des ouvriers a vu l’assassin se glisser la nuit dans le hangar et préparer son crime ; il n’ose parler d’abord, mais bientôt, après qu’Apollonius est parti, il communique ses soupçons à Christiane. Que faire ? comment empêcher le malheur ? Christiane n’avait jamais fait ses confidences au vieillard ; elle va le trouver, elle lui dit tout : elle lui raconte la trahison de son mari, ses fureurs croissantes, ses remords devenus une haine implacable contre Apollonius. Le vieillard a compris dès le premier mot : un fratricide va être commis, et peut-être est-il trop tard pour le prévenir. Il envoie en toute hâte