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des colonels, ne pourrait-on l’aider par des règlemens sagement conçus ? En campagne sans doute, on fait comme on peut, on n’a pas toujours de grandes ressources ; il faudrait pourtant veiller à ce que l’indispensable ne fît jamais défaut.

Dans deux ou trois infirmeries seulement, j’ai trouvé un registre spécial portant les noms de tous les hommes du corps que le feu de l’ennemi avait atteints depuis le commencement de la guerre, et indiquant le jour, le siège, la gravité, les suites de la lésion reçue. Il est regrettable que cet exemple ne soit pas plus généralement suivi, que cette mesure ne soit pas prescrite par une disposition réglementaire. L’authenticité de ces documens serait fort utile pour les statistiques et toute sorte de renseignemens. Ce serait en outre le livre d’or du régiment, ses titres de noblesse.

La bonne installation des infirmeries est d’une grande importance. Premier asile des malades et des blessés, elles devaient renvoyer aux ambulances divisionnaires ou aux hôpitaux ceux qui avaient besoin d’un long traitement. Dans une infirmerie mal installée, les plus simples indispositions peuvent devenir graves et dégénérer en longues maladies. Sous un climat salubre comme celui de la Crimée, la plupart des affections étaient d’abord légères. Elles pouvaient être arrêtées dès le début ; un peu de repos, un peu de soin amenait de promptes guérisons. Si au contraire les précautions d’hygiène étaient insuffisantes, les ambulances s’encombraient. Ne pas laisser les indispositions s’aggraver, appliquer au premier moment les premiers remèdes, telle était l’utilité des infirmeries. Quant aux blessures de guerre, l’application des premiers appareils se faisait presque toujours dans les ambulances de tranchée.

À 1,600 mètres de Sébastopol, on rencontrait, cachée dans un pli de terrain, une petite ferme de chétive apparence. On ne pouvait la regarder sans un profond sentiment de respectueuse émotion. Cette ferme avait servi d’ambulance de tranchée pour les ouvrages de gauche. Placée tout d’abord, lorsqu’on commença le siège, dans la maison tant renommée du Clocheton, l’ambulance avait été contrainte par les boulets ennemis, qui l’inquiétaient sans cesse, de se retirer dans le pli de terrain où se trouvait la petite ferme. Souvent les Brancards qui portaient les blessés s’y succédaient sans interruption ; dans la nuit du 1er au 2 mai 1855, il en entra quatre cents. À mesure que les travaux du siège s’étendaient, l’ambulance s’agrandissait, groupant autour du bâtiment les tentes et les baraques. Un respectable aumônier de la flotte séjournait là avec le médecin. La science et la charité s’unissaient pour soulager les douleurs du blessé, le rendre à l’espérance et à la vie, ou adoucir sa dernière heure. Un terrain clos de murs servait de cimetière.