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Dans la campagne de Crimée, la gravité des blessures n’avait pas seulement pour cause les boulets et la mitraille, tant prodigués dans les sièges ; elle tenait aussi au perfectionnement des nouvelles armes de précision et à la substitution des balles coniques aux balles rondes. Les balles coniques, animées d’une plus grande vitesse, entrent en droite ligne, et, broyant les os qu’elles rencontrent, y produisent des éclats plus nombreux et plus étendus. La résistance les déforme sans presque les faire dévier ; elles s’allongent, s’aplatissent ou se séparent même en plusieurs morceaux plus souvent que les balles rondes. L’ouverture de sortie des balles coniques est presque toujours diamétralement opposée à l’ouverture d’entrée. Il est assez rare au contraire que le passage d’une balle ronde soit direct.

Porter le bistouri sur les ouvertures d’entrée et de sortie que les balles laissent dans le corps était une habitude et un précepte qui prévalaient encore en 1830, quand j’accompagnai l’armée qui allait conquérir l’Algérie. Les maîtres les plus autorisés recommandaient d’inciser largement la peau et les tissus sous-jacens, afin de favoriser l’épanouissement des parties lésées, d’en empêcher l’étranglement, et de prévenir les accidens qu’entraîne cet étranglement, par exemple la gangrène. Cette opération sanglante, appelée débridement, était bien plus douloureuse que la blessure faite par la balle ; mais personne ne doutait qu’elle ne fût très efficace. C’était là, pour ainsi dire, un dogme médical. Dès les premiers combats livrés sur la terre d’Afrique, à Sidi-Ferruck et à Staoueli, je constatai avec étonnement qu’un grand nombre de plaies qui n’avaient pas été, faute de temps, agrandies par l’instrument tranchant se guérissaient sans mésaventure, plus vite même que les plaies où le bistouri avait passé. En Crimée, je remarquai avec satisfaction que le débridement des plaies ne comptait plus un seul défenseur. Quoiqu’il trouve encore des partisans dans les luttes académiques, il a été repoussé comme une doctrine « inutile et barbare. » C’étaient les termes dont je m’étais servi dans un ouvrage publié en 1836[1]. Rien n’est venu prouver que ce jugement fût erroné. J’avais même constaté que le débridement n’empêche pas certains accidens quand la blessure recèle des corps étrangers, tels que bourres, pièces d’équipement, morceaux de drap entraînés par le projectile, ou bien la balle même, soit tout entière, soit en partie, si le plomb, heurtant l’angle d’un os, s’est séparé en plusieurs fractions.

Quelquefois des esquilles, ou pièces d’os brisés, restent au milieu des chairs et les irritent comme de véritables épines. En ce cas, le meilleur remède à tenter est l’extraction de ces corps étrangers.

  1. Clinique des Plaies d’armes à feu, 1 vol. in-8o ; Paris, J.-B. Baillière, 1836.