Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont le retour imprévu le comblait de joie. À l’en croire, la signorina n’aurait réussi à s’échapper qu’après une lutte terrible et corps à corps où il aurait craint de la blesser en usant de toutes ses forces. Il s’était prosterné devant elle, les yeux pleins de larmes ; mais elle avait pris la fuite, courant comme une biche à travers la rue des Fabri, et s’était dérobée aux poursuites de son vieux serviteur en tournant par un sous-portique.

— Ma fille en fuite ! s’écria le père. Il faut donc qu’on l’ait réduite au désespoir. Quel bouleversement, quel désordre dans ma famille !

En ce moment, la porte s’ouvrit, et Giacomo entra suivi de Remigio et d’Erminia. — Rassure-toi, mon ami, dit-il ; voici les fugitifs ; je les ai arrêtés au passage, et ils se sont rendus à moi sans résistance.

— Comment ! s’écria le marquis, c’était un enlèvement ! M’expliquerez-vous votre conduite, mademoiselle ?

— Oui, cher père, répondit Erminia. Je me suis fait enlever par Remigio. Nous avons imaginé ensemble ce moyen de nous épouser. Comme l’usage est de marier une fille enlevée avec son ravisseur, vous ne pourrez plus nous refuser votre consentement.

— Votre innocence prouve que ce mariage-là n’est point nécessaire, reprit le marquis. Les lois punissent le rapt. Vous irez au couvent, et votre amoureux en prison.

— Oh ! que non ; vous ne me faites pas peur.

— Vous l’aimez donc bien, ce petit traître ?

— A en perdre la raison, à en mourir, si vous me contrariez.

— Eh bien ! mariez-vous, puisque vous le voulez absolument. Et vous, monsieur le voleur de filles, si je vous donne le trésor que vous m’avez ravi, c’est à la condition de le garder avec vigilance et de ne jamais vous le laisser prendre.

— On oublie une petite formalité, dit la marquise : le consentement de la mère.

— J’y ai pensé, reprit Saverio ; nous l’aurons dans un moment. À présent, chevalier, à nous deux : qu’ai-je entendu dire ? quel vent aigre a soufflé sur cette maison ? qui donc est venu se mêler de nos affaires ? Tu es mon hôte et mon ami, et je ferai connaître que j’ai pour devise celle d’Angleterre : Honni soit qui mal y pense ! Si quelqu’un y pense mal, je lui donnerai une leçon dont il se souviendra longtemps. Quant à l’élément étranger qui semble s’opposer à notre bon accord, je vais l’écarter, à l’instant. Monsieur le baron, je ne sais si votre seigneurie a écouté notre conversation.

— Vous allez voir, monsieur, répondit Saint-Clément, que je n’en ai pas perdu une syllabe. Ce n’est pas ma faute si vous avez oublié pendant quinze ans de rentrer chez vous, et si l’on m’a présenté en votre absence à Mme la marquise. Je ne suis point d’humeur à me