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donné à l’homme de proposer une explication générale qui ne relève ni des sens, ni de la pensée pure, ni du doute, ni de l’extase. Ces quatre doctrines, dont la valeur est très diverse, contiennent la philosophie tout entière ; toutes les doctrines qui naîtront se rattacheront par une filiation nécessaire à l’une ou à l’autre de ces évolutions intellectuelles. Dans ce domaine mesuré en tout sens, les idées qui s’annoncent sous un nom nouveau ne sont que des souvenirs. M. Taine ne peut pas l’ignorer, et cependant il écrit comme s’il n’en savait rien. Comment expliquer cette méprise ? A-t-il été abusé par l’étude du monde extérieur ? Mais rien dans ses travaux ne révèle une connaissance approfondie des lois qui le régissent. Son choix philosophique ne paraît pas dépendre des études botaniques ou zoologiques. Il a étudié avec prédilection une doctrine dont les formules avaient ébloui son intelligence, et quand il a cru posséder la vérité, il s’est empressé de la révéler, de la glorifier comme une conquête personnelle. Ceux qui connaissent les limites de la pensée humaine dans le domaine philosophique, et qui n’attendent pas de l’avenir l’élargissement indéfini de ce domaine, pardonneront sans effort à M. Taine sa joie et son orgueil. Ils se contenteront de lui dire : Nous savons d’où vous venez, nous savons où vous allez, nous savons par où vous passerez. Les espérances que vous avez conçues sont pesées depuis longtemps ; les cendres que vous tentez de ranimer ne seront jamais que des cendres. De plus puissans que vous ont échoué dans cette laborieuse et inutile entreprise. Avec ces cendres, que vous pétrissez d’une main active, vous voulez faire un arbre vivant, un arbre qui abrite les générations futures ; vous n’y réussirez pas. L’expérience vous enseignera bientôt ce que vaut votre dessein. — Lors même que personne ne prendrait la peine d’avertir M. Taine et de lui montrer la pente où il s’engage, il trouverait sans doute en lui-même assez de clairvoyance pour pressentir le danger, pour ne pas épuiser les conséquences d’une doctrine contraire à la vérité ; mais il me semble opportun de signaler aux jeunes esprits la portée de cette doctrine, car parmi ceux qui la chérissent, qui la vantent, j’en sais plus d’un qui n’a pas même entrevu l’abîme où elle conduit. Une idée générale qui n’est pas vraie est cent fois plus dangereuse qu’un fait mal observé. Quand M. Taine comptera quelques années de plus, il regrettera son imprévoyance et se condamnera sévèrement.

Les théories philosophiques ne gouvernent pas les événemens ; ce n’est pas à elles qu’appartient le développement historique des nations. Cependant, si elles ne régissent pas les événemens, leur action n’est pas insignifiante dans la vie réelle. Quoiqu’elles s’occupent des idées premières et ne soient pas destinées à devenir la monnaie courante