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que la raison condamne, qui ne résistent pas à l’épreuve de la discussion.

Essayons maintenant d’appliquer à l’histoire la doctrine de Spinoza, supprimons avec lui la liberté morale, fondement de toutes les libertés, et voyons ce que devient la vie du genre humain, que l’histoire se propose de raconter. Ce qui est vrai pour la vie individuelle n’est pas moins vrai pour la vie des nations. La liberté morale une fois abolie par la confusion de Dieu et du monde, la vie des nations échappe à toute responsabilité : il n’y a plus ni guerre injuste, ni paix honteuse ; tous les gouvernemens ont droit à la même estime, à la même soumission ; il suffit qu’ils soient pour qu’on les honore, car leur existence est nécessaire. Vouloir changer ce qui est, c’est agir contre la volonté divine, et je dis volonté divine faute de pouvoir parler autrement. Pour demeurer fidèle à la doctrine de Spinoza, je devrais dire que toute volonté humaine est une révolte contre les lois auxquelles le monde est soumis, et comme ces lois, étreignent dans le même lien le créateur et la création, il est inutile d’ajouter que la lutte de l’homme contre le destin ressemble aux efforts d’un enfant qui voudrait arrêter les flots de l’océan. Dans la doctrine de Spinoza, lutter c’est ignorer que tout est nécessaire, Que deviennent alors ou plutôt que signifient les grands hommes qui ont attaché leurs noms aux diverses périodes de la civilisation ? Les rangera-t-on dans la famille des fous ? L’expédient serait commode, s’il ne présentait quelques difficultés dans l’application. Ils avaient donc eu tort d’accomplir ce qu’ils avaient voulu, de vouloir ce qu’ils ont accompli ! Si tout ce que nous voyons est nécessaire, tout ce que nos aïeux ont vu avait droit au même respect en vertu de cette loi unique : la nécessité. Toute aspiration vers le changement dans l’ordre politique ou religieux est donc un vœu impie, et quand ce vœu se traduit en action, quand le changement souhaité vient à s’accomplir, quel châtiment ne mérite pas l’auteur ou l’agent de cette métamorphose !… Il désire, il espère, il s’évertue sous la domination d’une croyance que la doctrine de Spinoza répudie avec un dédain superbe. Il a foi dans le progrès, il s’imagine que demain peut valoir mieux qu’aujourd’hui ; il penserait autrement, s’il connaissait les lois si inflexibles qui régissent Dieu, l’homme et le monde. Le sage ne lui doit que l’aumône de sa pitié. Tout homme qui souhaite un changement est à ses yeux indigne de colère, car il ignore l’impiété de ses vœux. Quand on se place dans ce monde sans Dieu, quand on accepte comme vrai le rôle de ce créateur sans création, on se demande avec étonnement pourquoi les générations qui nous ont précédés ont cherché à nous conserver le souvenir du passé. La pierre qui tombe en poussière ne raconte pas les coups de tonnerre