Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Londres dans la nuit du 4 au 5 juin 1826, six semaines après la première représentation d’Oberon, âgé de quarante ans. Au milieu de l’œuvre très diverse de ce merveilleux génie, on remarque les trois grands opéras qui forment le vrai titre de sa gloire : le Freyschütz, représenté à Berlin le 18 juin 1821 au petit théâtre de Kœnigstadt ; Euryanthe, qui fut donné à Vienne le 25 octobre 1823, et Oberon, dont l’enfantement lui a coûté la vie. Les manuscrits de ces trois chefs-d’œuvre sont la propriété de trois souverains : le Freyschütz appartient au roi de Prusse, Euryanthe au roi de Saxe, et Oberon à l’empereur de Russie. Nous n’avons à nous occuper aujourd’hui que d’Oberon, dont le sujet n’a pas plus été imposé à Weber que celui du Freyschütz et d’Euryanthe. Il l’a choisi lui-même, et le poème anglais est d’un nommé Planché, d’origine française, qui lui envoyait de Londres, scène par scène, les résultats de son travail. Weber, dont la conscience égalait le génie, se mit alors à étudier la langue anglaise, dans laquelle il fit d’assez rapides progrès. Lorsque l’époque fixée par son engagement avec le directeur du théâtre de Covent-Garden fut arrivée, Weber quitta Dresde le 16 février 1826. Il traversa Leipzig, s’arrêta un jour à Francfort, et arriva à Paris le 25 février 1826. Il vit Rossini, et assista à la première représentation de la reprise d’Olympie de Spontini à l’Opéra, dont l’orchestre et le spectacle excitèrent son admiration. Il était le 2 mars 1826 à Londres, où il fut accueilli avec un véritable enthousiasme. On a fait beaucoup d’histoires sur la mort précipitée de Weber, qui aurait été presque occasionnée par l’échec qu’aurait éprouvé l’opéra d’Oberon devant le public anglais. Ce sont là des fables inventées par des esprits faux pour étayer des causes désespérées. Weber n’a pas plus été méconnu par ses contemporains que ne l’ont été Sébastien Bach, Haendel, Haydn, Mozart, Beethoven, Mendelssohn et Schubert. Nous aurons occasion de prouver pièces en main que le génie colossal de Beethoven, sur le sort duquel on a dépensé tant de sensibilité et de fausse déclamation, était déjà signalé à l’attention des connaisseurs dès l’année 1799, c’est-à-dire bien avant qu’il eût produit les neuf grands poèmes symphoniques que nous fait admirer depuis trente ans la société des concerts du Conservatoire. Sans doute on a dit d’Euryanthe et d’Oberon ce qu’on a écrit à Paris sur l’ouverture de Guillaume Tell, sur Zampa et le Pré aux Clercs ; mais qu’est-ce que cela prouve ? Qu’il y a partout des aveugles et des beaux-esprits incapables de comprendre les œuvres du génie. Nous croyons bien moins à l’existence des génies méconnus qu’à celle des charlatans qui en usurpent la place. Il est en effet plus facile de tromper le vulgaire par une science de mauvais aloi et des inspirations prétendues fantastiques, que d’échapper à l’admiration de ses contemporains quand on s’appelle Dante, Shakspeare, Palestrina, Mozart, Rossini, Beethoven, Weber ou Hérold.

Pour en revenir à Oberon, nous ne voulons invoquer d’autre témoignage en faveur du public anglais que celui de Weber lui-même. Dans une lettre qu’il écrivit à sa femme le 12 avril 1826, après la première représentation d’Oberon, nous remarquons le passage suivant : « Ma chère Lina, grâce à Dieu et à sa toute-puissante volonté, j’ai obtenu ce soir le plus grand succès de ma vie. L’émotion qu’a produite en moi un pareil triomphe est impossible à décrire. À Dieu seul en appartient la gloire (Gott allein die Ehre) ! Lorsque