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grands ouvrages, le Freyschütz, Euryanthe et Oberon se trouvent éparses dans ses compositions pour le piano et les autres instrumens. Dans la partition manuscrite d’Oberon qui est à Saint-Pétersbourg, sous la garde du baron Korff, directeur de la librairie impériale, chaque morceau est daté de la main de Weber. On lit après l’ouverture : « Achevée à Londres le 7 avril 1826, à onze heures et trois quarts de la nuit, ainsi que tout l’ouvrage d’Oberon… Soli Deo gloria. » Après la magnifique introduction on lit : « Achevée le 11 septembre 1825, dans le jardin de Kolsachen ; » après le chœur des génies : « Achevé le 11 novembre 1825 à Dresde, » et après le premier acte : « Ce premier acte a été terminé le 18 novembre 1825. » L’air de Fatime au troisième acte : Chère Arabie, a été écrit à Londres le 27 mars, et la cavatine de Rezia : Pleure, mon cœur ! également à Londres le 26 mars 1826. Le rondo que chante Huon a été composé à Londres le 25 mars 1825 à « onze heures du soir, » et le chœur à six-huit, avec les danses qui l’accompagnent, à Dresde, le 25 janvier 1826. Par le temps qui court, où les faiseurs marchent la tête haute en montrant fièrement du doigt les piles de volumes ou de partitions qu’ils ont procréés en peu d’années, nous avons cru que ces détails sur le travail intime et scrupuleux de Weber ne manqueraient pas d’intérêt. On peut voir à Berlin, où se trouvent les manuscrits de Beethoven, quels nombreux tâtonnemens ce génie colossal faisait subir à sa pensée avant de l’adopter définitivement. Vasari nous apprend que Michel-Ange travaillait tout aussi difficilement, et nous lisons dans une lettre de Marietta au comte de Caylus : « Leonardo non era molto curioso di moltiplicar le sue opère. Come egli faceva pocchissimo conto di quel che era fato in fretta… E che non era se non il frutto d’un primo fuoco… Egli amava meglio di far poco ed applicarvisi, etc. » C’est, en pensant aux œuvres de pareils génies qu’il est vrai de dire : « Le temps ne fait rien à l’affaire. »

Les auteurs du libretto d’Oberon qu’on exécute au Théâtre-Lyrique, MM. Nuitter, Beaumont et Chazot, n’ont que très peu modifié la donnée du poème anglais. Ils ont introduit, au troisième acte, un personnage secondaire, l’eunuque Aboulifar, qui égaie le parterre de ses lazzi sans toucher à la musique du maître. La partition d’Oberon est conservée presque intégralement, sauf quelques changemens que nous indiquerons.

L’ouverture est un morceau de symphonie connu de toute l’Europe, et que la Société des Concerts a suffisamment popularisé en France. Construite avec deux principales idées empruntées à la partition même, comme l’ouverture du Freyschütz et celle d’Euryanthe, elle présente à l’imagination un tableau raccourci de l’épopée dont elle forme la préface. L’Allemagne s’est montrée sévère pour cette manière de procéder, et nous savons que l’auteur de Guillaume Tell ne l’approuve pas davantage. Malgré l’autorité d’un tel maître, et tout en souscrivant à certains reproches que la critique allemande a pu faire aux ouvertures de Weber, d’être des espèces de pots-pourris composés d’élémens précieux, j’avoue ne point partager ces scrupules. L’ouverture d’Oberon, avec les trois notes mystérieuses que soupirent les cors, suivies de l’andante sostenuto qui ouvre l’entrée du monde surnaturel, et qui prépare l’explosion du premier motif, mené à fond de train par les violons déchaînés, est une admirable entrée en matière, et révèle déjà le côté merveilleux