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et chevaleresque du sujet. Le second motif, chanté d’abord par la clarinette, d’un sentiment si exquis et si profond, est rattaché au premier par un travail ingénieux et piquant, et la péroraison, fougueuse et pleine d’éclat, achève cette magnifique introduction d’un poème où le jeu des passions se combine avec la poésie chevaleresque du moyen âge. Une seule tache dépare à nos yeux cette belle ouverture : ce sont les quelques mesures en style fugué qui précèdent la péroraison. On est désagréablement surpris de voir apparaître ce bavardage scolastique au milieu d’une improvisation de génie. On dirait d’un poète du moyen âge qui, se trouvant devant des docteurs qu’il charme par ses récits merveilleux, s’avise tout à coup d’oublier le langage des dieux, qui fait sa force, pour entreprendre une argumentation en règle, afin de prouver qu’il a fait ses classes. C’était la faiblesse de Weber, comme ce fut celle de Méhul, de vouloir paraître plus savans qu’ils ne l’étaient l’un et l’autre, et de s’essayer trop tard à manier les ressorts d’une forme sévère où Mozart et Cherubini étaient des maîtres consommés ; mais si Weber n’était pas un savant musicien, il avait bien le droit de s’écrier avec le Corrège : Anch’ io son pittore !

L’introduction est un morceau non moins admirable, et tout aussi connu en France que l’ouverture, dont elle reproduit les premières mesures. Ce sont les fées et les elfes qui, marchant sur la pointe de leurs pieds légers, s’approchent d’Oberon, qui repose mélancoliquement sur un lit de roses. Ils invitent les ruisseaux limpides et les zéphyrs à tempérer leurs murmures, et ils chantent, en susurrant, un chœur à trois parties qui, par les ondulations du rhythme, la finesse de l’harmonie et le coloris de l’instrumentation, est une véritable merveille. C’est quelque chose de comparable à la fluidité de l’air frôlant imperceptiblement les feuilles des arbres par un beau soir d’été et dans un coin du paradis. On peut affirmer que de pareils effets étaient inconnus avant l’avènement de Weber. Oberon se désole du serment qu’il a fait de ne plus revoir Titania, et il exprime sa douleur dans un air de ténor fort difficile, d’une mélodie médiocre et tourmentée. La vision de Rezia, qui invoque le secours du chevalier Huon, est une sorte de récitatif bien déclamé dans lequel se fait entendre le cor magique d’Oberon poussant les trois notes mystérieuses qui commencent l’ouverture. Le chœur des sylphes et des génies qui vient après : Gloire, gloire, a de la plénitude, mais il est fort difficile à chanter, parce qu’il contient un grand nombre d’intervalles altérés, dont Weber affectionne l’emploi. La scène déclamée entre Oberon et le chevalier Huon est vigoureuse. Lorsque Oberon fait un signe de son sceptre de lis, et qu’on voit s’élever du fond du théâtre la ville de Bagdad, baignée dans un flot de lumière, l’orchestre fait jaillir une splendide sonorité dont l’effet, un peu écourté, ne vaut pas, à beaucoup près, celui qu’a produit Rossini dans l’introduction du second acte de Moïse. Haydn, dans la Création, et M. Félicien David, dans le Désert, ont eu aussi l’intention de peindre à l’oreille le phénomène grandiose de l’apparition de la lumière.

La scène se termine admirablement par le chœur des génies qui accompagnent Huon et l’excitent à marcher à la conquête de Rezia. L’air que chante Huon ensuite est l’un des plus difficiles qui existent dans le répertoire de l’école allemande. Il est divisé en trois parties : la première, en mi majeur,