Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/714

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peu déçue. M. de Falloux a été évidemment un homme heureux. Ce n’est pas qu’il ne se soit montré supérieur comme homme public et comme orateur : il a lié son nom à deux ou trois actes mémorables de notre histoire contemporaine ; mais enfin on peut dire qu’il est devenu rapidement, sans trop d’efforts, un personnage consulaire. Il a écrit peu d’ouvrages, et par cela même peut-être s’attendait-on à voir dans son discours comme une justification nouvelle du choix de l’Académie. M. de Falloux a retracé avec finesse et élévation la biographie de son prédécesseur, M. Mole ; seulement, d’une façon ou d’autre, ce n’était point là le discours que faisaient espérer et le nom de l’orateur et la grande carrière, la personnalité éminente de M. Molé.

C’est qu’en effet M. Molé était, sans y mettre aucune prétention, une des figures les plus caractéristiques et les plus marquantes de notre temps. Il représentait dans une société si profondément remuée des traditions qui n’existent déjà plus. Il avait de la dignité sans morgue, de la fierté sans dédain, de la finesse sans recherche, et ces qualités, il les portait dans la politique. On pourrait dire de lui qu’il a été peut-être l’homme le plus essentiellement politique de son temps : non pas que bien d’autres n’aient montré de grandes facultés et des supériorités de talent qu’il n’avait pas ; mais nul plus que M. Molé n’était à l’aise au milieu des grandes affaires, qu’il maniait avec une sorte d’aptitude naturelle. Il a traversé ces cinquante années d’histoire simplement, portant avec noblesse un vieux nom, toujours au niveau du pouvoir sans qu’il eût même besoin d’y prétendre, conciliant par ses opinions, voyant tout d’un coup d’œil juste. C’est ce qui a fait de cet homme éminent un conseiller toujours écouté, même dans sa jeunesse, mûrie par les malheurs de sa famille et par la précoce expérience des temps révolutionnaires. Napoléon, qui ne s’y trompait pas, alla bientôt chercher ce jeune homme, dont il fit un grand-juge à la fin de l’empire, après en avoir fait d’abord un préfet et un directeur des ponts et chaussées. M. Mole avait vécu sous plusieurs gouvernemens, il les avait servis, il s’était associé à leurs œuvres. Comment n’en serait-il pas ainsi dans un siècle où les établissemens les plus durables n’ont pas vécu plus de dix-huit ans ? Ce qu’on peut dire, c’est que les rôles venaient naturellement à M. Mole encore plus qu’il ne les recherchait, et dans tous les cas il ne pouvait être mû par des considérations vulgaires. Pour aspirer au pouvoir, il ne pouvait être poussé par ces passions d’enrichissement qui signalent les mauvaises époques : il avait la fortune. Pourquoi aurait-il recherché les dignités officielles ? Par sa position sociale, par sa naissance et par son rang, la considération du monde lui était assurée. Et puis, en servant son pays sous des régimes divers, M. Molé en réalité est toujours resté fidèle à lui-même, sage et prévoyant sous l’empire, libéral modéré sous la restauration, conservateur sous la monarchie de juillet, plus conservateur encore sous la république parce que le danger était plus grand, et invariablement pénétré jusqu’au bout d’une seule pensée, c’est qu’il ne pouvait y avoir de repos pour la France que dans une monarchie qui ne serait pas le despotisme et dans une liberté qui ne serait pas la licence. Un jour, dans sa jeunesse, M. Molé avait écrit des Essais de politique et de morale ; ce n’était point là cependant son titre le plus sérieux. M. Mole s’était accoutumé à bien dire parce qu’il pensait bien. On s’étonne parfois que l’Académie dans ses choix ne fasse pas