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nord et le sud. Or le difficile est de concilier ces deux choses, car l’esclavage, c’est justement ce qui divise le nord et le sud, ce qui peut à un moment donné mettre en péril l’intégrité de l’Union. Un fait récent indique du reste assez clairement où en est cette question de l’esclavage aux États-Unis : c’est un arrêt de la cour suprême de Washington, qui vient de décider comme principe incontestable qu’un homme de couleur, esclave ou libre, ne peut être citoyen des États-Unis, que le compromis du Missouri de 1820 était un acte inconstitutionnel, que les maîtres d’esclaves ont le droit de les emmener dans les états où l’esclavage n’existe pas sans que leur condition légale soit changée, que le congrès n’a aucun pouvoir de réglementer la question de l’esclavage dans les territoires. Ce sont là les principes qui dominent aujourd’hui au-delà de l’Atlantique, ce qui n’empêche pas M. Buchanan de déclarer que toutes les populations annexées aux États-Unis ont joui heureusement, sous la bannière américaine, de tous les bienfaits de la vie civile et religieuse. L’agitation causée par l’esclavage peut s’assoupir un moment ; elle se réveillera à coup sûr, elle remettra aux prises le nord et le sud. Chose bizarre, et qui prouve à quel point on peut abuser des mots : c’est sous le prétexte de la liberté des états qu’on travaille à l’extension de l’esclavage ! Cette terrible question deviendra tôt ou tard l’épreuve décisive pour la grandeur de l’Union américaine, comme elle est déjà une épreuve pour la moralité de sa politique. CH. DE MAZADE.



Théâtre-Français. — La Fiammina

La Fiammina vient d’obtenir un éclatant succès. Les femmes pleurent, les hommes s’attendrissent sans pleurer, mais sans protester contre les larmes dont ils sont témoins. La Fiammina est-elle donc un ouvrage vraiment digne d’admiration ? tiendra-t-elle une place considérable dans l’histoire de notre théâtre ? Je voudrais pouvoir le croire, afin de m’en réjouir ; mais, à moins de renoncer à tous les principes que j’ai soutenus depuis que je tiens une plume, je suis obligé d’avouer que la Fiammina, prônée comme un chef-d’œuvre, célébrée sur tous les tons comme une inspiration inattendue, n’a rien à démêler avec le mouvement littéraire de notre temps. C’est une pièce qui ne manque assurément pas d’intérêt, et ce mérite vaut bien la peine qu’on s’y arrête ; mais l’intérêt repose sur la donnée plutôt que sur les développemens. Or chacun sait qu’une donnée appartient à tout le monde, et que les développemens seuls n’appartiennent qu’au poète. On représente tous les ans sur nos théâtres de boulevard des pièces tout aussi intéressantes que la Fiammina, et autour desquelles il ne se fait pas tant de bruit. La Fiammina, représentée sur la scène où se représentent les œuvres de Corneille et de Molière, fait illusion à ceux qui prennent les émotions dramatiques pour un simple délassement, et ne s’inquiètent pas de la violation ou du respect des conditions imposées à la poésie. Il me semble utile de réduire à sa juste valeur l’engouement de la foule, et, pour qu’on ne m’accuse pas de céder au besoin de me singulariser, je veux déduire en quelques mots les motifs de mon opinion.