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a livré son nom, comprend alors qu’il n’a qu’un homme à tuer, l’amant de sa mère, pour laver son déshonneur et celui de son père. Il demande un rendez-vous à lord Dudley, et l’amant de la Fiammina, qui se méprend sur l’objet de sa visite, lui dit qu’il l’attendra le lendemain chez lui. Il se fait une fête de lui montrer sa galerie. La Fiammina est seule au logis quand arrive Henri ; elle ne sait pas que son fils la connaît, et le complimente sur ses débuts poétiques, comme si elle n’avait pas devant elle son juge et son châtiment. Elle espère, en le flattant, provoquer ses confidences. Déçue dans son espérance, elle laisse Henri seul avec lord Dudley. L’amant n’accepte pas la provocation du fils de sa maîtresse. Henri, pour le forcer à se battre, le menace de l’insulter publiquement. Le duel serait inévitable, si la Fiammina ne venait se jeter aux pieds de son mari pour conjurer cette terrible catastrophe. Daniel et Henri lui pardonnent ; elle promet de quitter la France, d’aller s’ensevelir dans un couvent ; Henri épouse Laure, et les femmes affligées se consolent en écoutant cet heureux dénoûment.

Je ne dois pas oublier deux rôles épisodiques dont l’utilité ne m’est pas démontrée, Mme de Barni et le fils de Duchâteau. Mme de Barni s’étonne d’aimer son mari, et parle de ses trois enfans pour vanter sa fécondité. Quant au camarade d’Henri Lambert, il traite son père avec une familiarité qui va jusqu’à l’impertinence ; il fait de lui son plastron, et donne le signal du rire dès qu’il a lancé un trait qu’il croit spirituel.

Cependant l’œuvre de M. Uchard, quoique vulgaire dans ses développemens, serait acceptée sans répugnance par les hommes lettrés, si l’auteur prenait quelque souci de notre langue ; mais il la traite avec un sans-façon qui nous surprend à bon droit. Henri dit à Daniel : « Ce récit m’a vivement impressionné. » Sur la scène où se récitent les vers de Cinna et du Misanthrope, ce barbarisme n’est pas à sa place : il faut le renvoyer à l’Ambigu, où la langue est comptée pour rien. La Fiammina évoque le bruit sur ses pas. Jusqu’à présent nous avions cru qu’on évoquait le passé : il paraît que nous étions dans l’erreur ; On dira bientôt qu’un cheval évoque la poussière. Et quand la langue n’est pas offensée dans la Fiammina, il nous arrive de rencontrer des vérités tellement vraies, qu’elles nous étonnent par leur évidence comme nous étonnerait le paradoxe le plus singulier. Daniel dit à sa femme : « Je ne vous adresse aucun reproche. Le jour où vous avez repris votre liberté, vous êtes redevenue maîtresse de vos actions. » Je le crois bien, tout le monde le croit, et Daniel abuse de l’évidence. Lord Dudley rappelle à sa maîtresse qu’il l’aurait épousée, si d’autres liens ne se fussent opposés à leur union. Quelle charmante naïveté ! La Fiammina aurait le cœur bien dur, si elle n’était attendrie par cet ingénieux aveu. Au boulevard, toutes les paroles que je relève passeraient inaperçues ; mais la Fiammina est écoutée, applaudie au Théâtre-Français comme une œuvre littéraire, et tous ceux qui prennent encore quelque souci de l’art dramatique doivent dire sans détour ce qu’ils pensent de la Fiammina. Le succès n’efface ni les barbarismes ni les naïvetés. gustave planche.


V. de Mars.