Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/734

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baisser la tête devant la faiblesse de notre nature, à se mettre en garde contre elle, et à se pénétrer davantage de la nécessité que le droit de penser librement et de manifester ce qu’on pense devienne la religion du genre humain ; car, dès qu’on laisse fléchir le moins du monde ce principe, on ne sait où l’on s’arrête, et il peut arriver qu’un Marc-Aurèle se fasse le bourreau des chrétiens.

Détournons les yeux de ce triste aspect d’une figure historique digne à tant d’autres égards d’une éternelle admiration, et allons voir la colonne de Marc-Aurèle, qu’on appelle la colonne Antonine. Cette colonne est une imitation de la colonne Trajane. Le fût est exactement de la même longueur, 100 pieds romains. La matière et la disposition sont les mêmes. Elle se compose aussi de tambours de marbre, et des bas-reliefs en spirale représentent les triomphes de Marc-Aurèle sur des peuples qui habitaient à peu près les mêmes régions que ceux contre lesquels Trajan avait dirigé ses armes victorieuses. Le danger de l’empire était vers le Danube et sur le Rhin. C’était par ces deux portes que l’invasion barbare devait entrer dans l’empire romain. Le Rhin, mieux défendu, protégé par des places fortes et des colonies, ne donnait pas encore de très sérieuses inquiétudes. Dion nous apprend, il est vrai, que sous Marc-Aurèle les Germains passèrent le Rhin et vinrent jusqu’en Italie. Du côté du Danube, les populations barbares, qui trouvaient là moins d’obstacles, étaient déjà formidables. « Toutes les nations, dit Capitolinus, depuis les bornes de l’Illyrie jusqu’à la Gaule, avaient formé une vaste confédération. » Et il énumère seize de ces nations. Parmi ces noms à physionomie sauvage, tels que les Sicobotes et les Costoboks, on voit ceux de nations germaniques, comme les Marcomans et les Suèves, de nations slaves, comme les Sarmates, de nations probablement tartares, comme les Alains. La grande armée de l’invasion se forme et se prépare au loin. « Pendant ce temps, ajoute l’historien, la guerre menaçait chez les Parthes et dans la Bretagne. » Il ne faut jamais oublier cette situation de l’empire romain à ses plus belles époques, toujours sous le coup d’une irruption barbare prête à l’envahir. Jusqu’à ses derniers momens, la république a été conquérante ; depuis ses premiers jours, l’empire est sur la défensive : tantôt il recule comme avec Adrien, tantôt il reprend momentanément du terrain, comme sous Trajan et Marc-Aurèle. Le rôle des Romains n’a pas moins changé dans le monde. Ce n’est plus d’eux que vient l’agression ; tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de repousser cette multitude de peuples qui s’amasse aux extrémités de l’empire. On sent qu’un jour elle y entrera. On le craignit sous Marc-Aurèle, comme on l’avait craint sous Auguste ; il fallait que le danger fût bien pressant pour qu’on ait armé alors des gladiateurs et des esclaves, ce qui ne