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que son père avait commencés. Les thermes qui portèrent son nom n’étaient pas de lui. Ils avaient été construits par Cleander, un de ses serviteurs, qui fut tout puissant sous son règne. Le despotisme, je l’ai déjà montré, amène tôt ou tard le pouvoir des favoris. Déjà Tibère avait supporté longtemps le crédit impérieux de Séjan. Nous avons vu quelle était l’autorité des affranchis sous Claude et sous Néron. Commode laissa gouverner l’empire tour à tour par Perennis et par Cleander, puis livra le dernier au peuple soulevé. Il y avait aussi des émeutes sous ces empereurs romains, dont la puissance était sans bornes, et ces empereurs cédaient à l’émeute. Celle-ci commença dans le cirque. Nous sommes toujours ramenés au cirque ou à l’amphithéâtre ; comme je l’ai dit, l’histoire romaine de ce temps se passe presque tout entière dans ces lieux-là.

« Pendant les jeux du cirque, comme les chevaux allaient commencer leur septième course, dit Dion, historien précieux pour cette époque, parce qu’il a vu ce qu’il raconte, une troupe considérable d’enfans se précipita dans le cirque ; une jeune fille de grande taille à l’air farouche les conduisait. » On voit que les gamins de Rome figuraient aussi dans les émeutes. Ces enfans ayant pendant un temps fort long poussé des cris terribles, le peuple tout entier, après leur avoir répondu par ses clameurs, s’élance hors du cirque et va chercher Commode, qui était hors de Rome, dans la villa des Quintilii. On demande pour lui au ciel toutes les félicités, mais on adresse mille malédictions à Cleander. Commode envoie contre cette foule quelques soldats, qui en blessent et en tuent plusieurs. Cela ne les arrête point ; se confiant dans leur nombre et dans l’appui des prétoriens, les révoltés avancent toujours[1]. « Comme ils approchaient du lieu où était Commode et que personne ne l’instruisait de ce qui se passait, sa concubine Marcia lui apprit tout. Commode en fut si effrayé, car il était très poltron, qu’il ordonna sur-le-champ qu’on mît à mort Cleander et son fils, que lui-même prenait soin d’élever. L’enfant fut brisé contre terre et mis en pièces. On prit le corps de Cleander, et on le traîna ignominieusement à travers la ville. Sa tête fut portée sur un croc, et plusieurs de ceux qui sous lui avaient été puissans furent massacrés. »

Hideux spectacle de la faveur qui opprime, du pouvoir impérial qui abdique tour à tour devant un ambitieux subalterne et devant une multitude sanguinaire ! Ce spectacle, il nous est pour ainsi dire donné à Rome, car le lieu de la scène nous est connu. Nous savons où était le cirque, remplissant presque toute la longueur de la vallée

  1. Selon Hérodien, les soldats repoussèrent le peuple jusque dans la ville ; mais là le peuple reprit son avantage dans cette guerre des rues, où il y a toujours pour lui plus de chances de triompher.