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une hardiesse prudente, toutes les améliorations que l’expérience avait justifiées, et il en a introduit quelques-unes que le succès a consacrées. Nous avons donc pu constater là les derniers résultats et les derniers progrès obtenus dans cette partie de la science, si ardue, si intéressante, et qui fait tant d’honneur à la philosophie médicale de notre temps.

La curiosité nous avait conduit une première fois à Stéphansfeld ; la sympathie nous y a ramené. Le directeur nous en a ouvert l’entrée avec une libéralité et une confiance dont nous ne saurions trop le remercier. Non-seulement il nous a introduit dans la vie intime de la maison, mais sa conversation, riche d’expérience, aussi remarquable par le sentiment que par la pensée, a singulièrement facilité l’enquête psychologique que nous avions désiré entreprendre sur la folie[1]. Une des plus grandes difficultés de notre travail était assurément le trouble même dont on ne peut se défendre en pénétrant pour la première fois dans une maison d’aliénés. Ce n’est qu’avec le temps, et sous l’influence d’études prolongées, que cette impression s’affaiblit. La folie est un des spectacles les plus tristes, mais aussi l’un des plus attachans. Si au premier abord on est tenté de trouver les aliénés beaucoup plus fous qu’on ne l’aurait cru, plus tard, quand on les connaît mieux, on leur prêterait volontiers plus de raison qu’ils n’en ont. L’observateur s’habitue peu à peu au désordre et à l’incohérence de leurs idées, et devient plus attentif à démêler en eux les vestiges d’une raison éteinte et d’une volonté endormie. Les débris des facultés intellectuelles et affectives reparaissent insensiblement à nos regards étonnés, et nous reconnaissons que dans la plupart des aliénés, je parle de ceux qui ne sont pas tombés dans la dernière dégradation, il reste beaucoup plus de l’homme que nous n’aurions cru, trop peu sans doute pour leur abandonner la conduite de leur vie, trop peu pour satisfaire ou consoler une famille, mais assez pour retracer à la pensée du philosophe l’image du temple détruit, et lui permettre d’admirer encore, sous ces ruines désolantes, la beauté effacée, mais indélébile, de la nature humaine.

C’est surtout lorsque l’on considère la vie en commun des aliénés, que l’on est frappé des ressources que l’art a su trouver dans la nature. On a pu établir un ordre, une discipline, une société entre ces esprits égarés, dont chacun, pris à part, n’est en général qu’indiscipline et révolte. Sans armes, sans chaînes ; sans soldats, on maintient

  1. Nous devons également beaucoup à M. le médecin en chef, le professeur Dagonet, esprit fin et élégant, nature aimable et prévenante, qui contribue avec le directeur à imprimer à la discipline de l’établissement un remarquable caractère d’affabilité et de douceur.