Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en paix plusieurs centaines de malheureux, dont les uns sont possédés par des idées de suicide, les autres par des idées de meurtre, et dont la plupart sont exposés à des accès où ils brisent tout ce qui leur tombe sous la main, où leurs forces sont doublées par la fureur. Par une méthode savante, ingénieuse, philosophique, on rend la raison à beaucoup d’entre eux, dont les traitemens barbares d’autrefois n’eussent fait que des bêtes féroces. Quant à ceux qu’on ne guérit pas, on leur a créé une vie douce et paisible dont ils jouissent comme ils peuvent, jusqu’au moment où la mort vient rompre leurs illusions, ou bien jusqu’à ce qu’un nouveau progrès de la maladie leur enlève même les derniers vestiges de la raison et de la pensée, et ne laisse plus rien à faire à la science que de prolonger de quelques jours leur lente agonie.

On peut étudier la folie à bien des points de vue ; quant à nous, la pensée constante qui nous a servi de fil conducteur entre tant de faits divers et quelquefois contradictoires a été celle-ci : rechercher dans l’aliéné les vestiges de l’homme raisonnable et les indications que la nature elle-même offre au médecin pour combattre la maladie. Ainsi l’étude philosophique de la folie nous aidera à en bien comprendre le traitement, et en faisant connaître un peu mieux ce que c’est que cet être obscur et étrange qu’on appelle l’aliéné, nous signalerons une des rares occasions qui s’offrent au psychologue et au moraliste de concourir directement à la guérison des maux et des souffrances des hommes.


I

Ce qui frappe le plus sur le visage des aliénés, c’est une certaine tristesse qui ne ressemble à aucune autre. De même qu’il y a une gaieté folle, il y a aussi en quelque sorte une tristesse folle. La fixité du regard, la contraction des traits, pénètrent l’âme d’une émotion douloureuse et dans les premiers temps insupportable. Ces images vivantes du malheur vous poursuivent jusque dans vos plaisirs, comme pour vous rappeler la misère de la vie humaine.

Ce qui n’est pas moins pénible à considérer que la mélancolie de quelques aliénés, c’est la gaieté convulsive de quelques autres. C’est un rire perpétuel et sans raison, accompagné de gestes extravagans, tantôt un rire hébété et stupide, triste symptôme de l’imbécillité, tantôt un rire violent qui touche de près à la fureur. La gaieté alors se transforme en son contraire. Qu’on ne se représente pas cependant une maison d’aliénés comme une réunion d’Héraclites et de Démocrites, dont les uns pleureraient et sangloteraient toujours, et dont les autres ne cesseraient de rire aux éclats. Même dans une maison