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l’harmonie et du rhythme. Cet état paraît bien extraordinaire et aussi indépendant que possible, des lois de l’intelligence et de la raison. Cependant il y a, même dans la vie normale, certains états d’esprit qui peuvent à la rigueur donner une idée de celui-là. La pensée éprouve quelquefois une sorte d’impatience qui lui fait franchir d’un seul élan tous les abîmes ; mille images contradictoires se succèdent avec une rapidité irrésistible. Une fleur, une étoile, un cercueil, un ami, le plaisir, le chagrin, l’espoir et l’angoisse, toutes les impressions, toutes les idées, tous les souvenirs, toutes les conceptions paraissent se rassembler à la fois dans un atome de temps : c’est un rêve fugitif, c’est un délire volontaire. De ce chaos sans doute finit toujours par sortir une pensée dominante, et la passion la plus vive triomphe des autres. La manie malheureusement est un chaos durable où surnagent à peine quelques vestiges d’une passion dominante.

Chez le maniaque, les idées se pressent, se heurtent les unes contre les autres avec une force et une rapidité incroyables. Il semble que tout se déroule dans sa tête sans que rien puisse arrêter cette singulière détente, on dirait le mouvement d’une pendule dont on vient d’enlever le balancier, et cependant ce désordre, si étrange et si incohérent qu’il paraisse, n’est pas l’effet du hasard ; on peut y retrouver encore les lois de l’association des idées. Auprès de la cellule où un maniaque dangereux a dû être enfermé, des ouvriers maçons viennent de commencer leur travail. Aussitôt l’imagination, cette folle du logis, persuade au malade qu’il est dans une loge maçonnique, et il s’attend à subir les épreuves dont sa mémoire lui retrace les tortures. De là des cris, des hurlemens, qui bientôt font place à des éclats de rire. Pendant que vous faites appel à ses sentimens pour le calmer, il croit lire au fond de votre pensée et découvrir les replis les plus cachés de votre cœur, et les découvertes qu’il y fait le transportent de joie et provoquent cette hilarité qui paraît absolument sans cause.

En y regardant de près, un médecin habile et observateur pourrait interpréter ainsi jusqu’à un certain point les paroles et les actions des maniaques qui paraissent le plus extravagantes. Un médecin d’aliénés très distingué, M. Baillarger, a dit avec raison que ce qui caractérise l’aliénation mentale, c’est la suppression des idées intermédiaires. Cependant ce n’est pas absolument sans raison que l’aliéné passe d’une idée à l’autre : des rapports fortuits déterminent ce passage. La suppression des idées intermédiaires ne s’observe pas seulement dans la folie ; le même fait se produit dans le sommeil et même dans la veille de l’homme raisonnable ; mais celui-ci peut écarter ces images importunes qui viennent à chaque instant