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folie et la raison, ce que nous avons voulu établir, ce n’est pas que la raison et la folie se confondent, c’est que la raison subsiste plus ou moins jusque dans la folie. La première doctrine est d’un sceptique, la seconde est d’une philosophie amie des hommes, qui ne veut laisser perdre aucun des vestiges qui rattachent le fou à l’humanité. On est trop disposé à croire que lorsque les portes d’un asile ou d’une maison de santé se sont fermées sur un malade, il cesse de faire partie de la société des hommes : la famille l’oublie, les amis parlent de lui comme d’un mort. Et cependant il vit encore, le soleil se lève pour lui comme pour nous. Que fait-il de ces heures si lentes, qui ne sont occupées ni par les affaires, ni par les plaisirs ? De quoi se compose la vie intérieure d’une maison de fous ? C’est un monde renversé, mais c’est encore un monde, qui a, comme le nôtre, ses habitudes, ses règles, ses travaux, et même ses amusemens. Un tel monde est l’œuvre de l’art. C’est en recueillant ce que chaque aliéné conserve de raisonnable que l’on a pu, par la vertu de la discipline et de la règle, former une sorte de société qui, toute différente qu’elle soit de la nôtre, obéit à des lois analogues, car on n’y obtient l’ordre, la paix et un peu de travail que grâce à une habile et ingénieuse combinaison de l’autorité et de la liberté, de la confiance et de la contrainte. Que l’on veuille bien s’arrêter encore avec nous dans ce monde si peu connu, et dont il faut maintenant expliquer le mécanisme et le mouvement.


II

Rien n’est insignifiant : dans une maison d’aliénés : tout y doit être préparé soit pour écarter les fausses associations d’idées, soit pour en suggérer de véritables, pour amortir les impressions pénibles et irritantes, ou pour favoriser les émotions douces et sereines. À ce point de vue, l’une des conditions premières, et essentielles, c’est la situation à la campagne et au grand air. C’est là aussi un des avantages de la maison de Stéphansfeld : elle est entourée de champs et de forêts, coupée de jardins où les clôtures sont ingénieusement dissimulées. La vue y est belle et vaste : ce ne sont pas les grands et sombres aspects des montagnes j qui plaisent à l’artiste et au poète, mais qui seraient d’un médiocre agrément pour des malades d’esprit ; ce sont les rians aspects de la plaine et les accidens les plus ordinaires de la nature. Ce qui est salutaire d’ailleurs, ce n’est pas précisément la beauté du site, à laquelle l’esprit est bien vite habitué, c’est l’influence insensible d’un ciel vaste et d’un air pur.

Si l’action d’un milieu paisible est la condition indispensable du traitement de la folie, elle n’en est pas le principe. Ce principe est