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« Oubliez ce que je vous ai dit, poursuivit-il ; ce qui m’irrite, c’est que je vois qu’avec vous elle aurait été heureuse. »

M. de Réthel passa la main sur son front. « Croyez-vous à la destinée ? » dit-il brusquement. Et, sans attendre la réponse de M. de Francalin : « Moi j’y crois, reprit-il. Autrefois, j’aurais été _condottiere_ ou capitaine d’aventure. Il y a dans mon esprit un fonds d’inquiétude que rien ne peut calmer…. Il faut bien que cela soit, puisque Mme de Réthel n’a pu en éteindre les folles ardeurs, et là où elle a échoué, rien ne peut. »

La pendule sonna trois heures. M. de Réthel allait et venait par la bibliothèque, regardant par la fenêtre, où l’on voyait les premières lueurs du jour naissant. Pâle, agité, fiévreux, l’œil tout en flamme, le geste violent, l’allure saccadée, rompant sa parole comme sa marche, il laissait voir à nu un mélange incroyable d’aristocratie et de cynisme, où le gentilhomme et le conspirateur se montraient tour à tour avec la même crudité. Il faisait grand jour quand M. de Réthel gagna la chambre que Georges lui avait fait préparer. Il dormit profondément jusqu’à midi. Il déjeuna de grand appétit et parcourut les journaux. « Ah ! ah ! dit-il, le bruit court que je suis arrêté ! »

Vers le soir, Tambour revint d’une promenade avec un papier caché dans son collier. M. de Réthel était averti de se tenir prêt à partir le lendemain. On avait fait une visite domiciliaire à la maison d’Herblay dès le matin, et on était convaincu qu’il était rentré dans Paris. Les manières et la physionomie du comte étaient déjà changées. Il ne restait plus rien de la violence et de l’âpreté qu’il avait montrées la veille. À le voir, on l’eût pris pour un homme du meilleur monde en visite chez un voisin de campagne. Jamais son regard n’avait été plus tranquille et sa mise plus soignée. Il s’assit devant la table et écrivit quelques lettres. Quand il eut fini, il regarda Georges :

« J’avais quelque envie de vous prier d’inviter Mme de Réthel à dîner, dit-il.

— Le voulez-vous ? dit Georges ; elle sera ici dans un instant.

— Non, j’ai réfléchi ; ce serait imprudent, et puis je craindrais de m’attendrir ; il pourrait se faire que je ne la revisse jamais ! »

Georges posa sa main sur le bras du comte.

« Il en est temps encore ; vous avez une femme qui mérite tout le cœur, toute la vie d’un homme : arrêtez-vous ! »

Les yeux de M. de Réthel parurent s’humecter.

« C’est vous qui m’y engagez ? Reprit-il.

— Ah ! c’est une lettre ! » dit Georges.

— Oui, et du plus profond de mon âme…. pour elle, pour vous…. »

Olivier lui serra la main. « Pour moi, c’est possible ; pour elle !… » Il secoua la tête et sourit. « Il est trop tard…. N’en parlons plus, » dit-il.