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et, si elle cédait encore, comment bientôt elle se ranimerait au foyer de la patrie commune et dans les passions de toute la race allemande. Cette prophétie est partout dans les feuilles anglaises de ce temps, à quelques mois de Wagram et de ce mariage de Marie-Louise, qui parut un moment changer le sort du monde.

Elle prit une nouvelle force après les deux sanglantes journées d’Essling, où commençait contre Napoléon ce système de guerre à mort, de défaites à perte égale, ou même de victoires plus ou moins arrachées et incomplètes, plus grandes par reflet moral que par le désastre même. Faut-il le dire ? les deux journées d’Essling, les longues alternatives de cette meurtrière bataille, la retraite de l’armée française dans l’île de Lobau, brisèrent le grand prestige de l’empire, et firent comprendre au patriotisme, à la haine, à la politique des autres peuples que le conquérant n’était ni infaillible ni invincible[1].

Alors en effet fut employé déjà par l’ennemi ce déploiement d’artillerie dont il usa plus tard pour enlever à Napoléon une des supériorités

  1. La tactique de Napoléon à la bataille d’Essling fut l’objet de sérieuses critiques, qu’un écrivain étranger, souvent admirateur des armées françaises, résume ainsi : « L’art militaire, non plus que la politique, n’est pas, du moins dans ses principes essentiels, une science occulte. Tout ce qui détermine, tout ce qui dirige l’action de masses nombreuses d’hommes doit être fondé sur des maximes accessibles au bon sens ordinaire. Napoléon lui-même nous a dit que l’objet décisif en stratégie, c’est, même avec une force inférieure dans l’ensemble, d’être toujours supérieur sur le point particulier qu’on attaque. Il a dit encore que la plus grande faute qu’un général puisse commettre, c’est de livrer bataille en n’ayant d’autre moyen de retraite que la traversée d’un étroit défilé. Sa principale objection contre la tactique de Wellington est fondée sur le fait que ce général à Waterloo n’avait sur ses derrières qu’une seule grande route à travers la forêt de Soignes. D’après ces principes, qui se recommandent non moins par une telle autorité que par leur propre justesse, que devons-nous dire au général qui, dans l’ensemble de ses forces, ayant 20,000 hommes de moins que son adversaire, engagea le premier jour 35,000 hommes dans une lutte sans espérance contre 80,000, et qui le second jour lança 60,000 hommes en colonnes serrées contre un demi-cercle de batteries comprenant trois cents bouches à feu, dont chaque coup portait infailliblement la destruction dans des rangs trop pressés, et cela de plus, alors qu’un vaste fleuve traversé seulement par un pont chancelant liait le corps qui formait l’attaque avec la réserve de l’armée et devait être la seule retraite possible pour l’un et l’autre en cas de désastre, etc. ?… Que dire à l’imprudence de hasarder les deux tiers de l’armée sur la rive gauche, quand un pont étroit d’un mille de longueur, ébranlé sous le coup des flots, séparait ce corps du troisième tiers demeuré sur l’autre rive ? Napoléon nous a dit lui-même que deux fois, le 21 mai, les ponts avaient été emportés par le fleuve. À minuit, le Danube grossit de la manière la plus formidable, et le passage fut une troisième fois intercepté, et ne put être rétabli qu’au matin, moment où la garde et le corps d’Oudinot commencèrent de passer. Quelle témérité, dans de telles circonstances, de hasarder une action décisive dans la journée contre la totalité de l’armée autrichienne, et de précipiter Lannes au milieu des feux ennemis dès le matin, avant que la masse des corps de Davoust ou la réserve du parc d’artillerie eût franchi ce périlleux passage ! » History of Europe, etc., by Arcliebald Alison, t. VII, p. 175.