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des Polynésiens paraissent être sortis de la presqu’île transgangétique par la péninsule de Malaya ; mais les insulaires de la Polynésie ont, en dehors de leur langue, des caractères spéciaux qui les distinguent nettement des Malais, et la grande homogénéité de leur idiome annonce une famille bien tranchée, famille qu’on a fait venir tour à tour du nord-est de l’Amérique, de la Sibérie orientale, et qu’on a même regardée comme les débris de la population d’un vaste continent aujourd’hui en partie submergé. Nous manquons encore de renseignemens pour résoudre, même d’une manière conjecturale, ce problème curieux. Il est incontestable que les Polynésiens offrent certains traits communs de langage et de mœurs avec diverses tribus de l’Amérique, et qu’ils constituent le chaînon par lequel ces populations sont unies à celles de l’Asie.

Les langues de l’Amérique présentent, malgré quelques points de ressemblance avec les idiomes polynésiens et même africains, une assez frappante homogénéité grammaticale, un air de famille bien autrement prononcé que n’ont entre eux les idiomes de l’Afrique et de la Malaisie.

Ce qui caractérise les langues américaines, c’est une tendance plus décidée que dans aucune autre famille linguistique à l’agglutination. Il n’y a que le basque qui possède ce caractère à un égal degré. Dans les idiomes du Nouveau-Monde, les mots s’agglomèrent par contraction, en supprimant une ou plusieurs syllabes des radicaux combinés, et les mots ainsi formés sont traités comme des mots simples, et susceptibles d’être employés et modifiés comme eux. Cette propriété a fait donner aux langues du Nouveau-Monde le nom de polysynthétique, qu’un savant ethnologiste des États-Unis, M. Fr. Lieber, propose de changer en celui d’holophrastique.

Outre ce caractère, il en est plusieurs autres qui, sans être aussi absolus, paraissent cependant très significatifs. Ainsi ces idiomes ne connaissent généralement pas notre distinction de genres : au lieu d’avoir un masculin et un féminin, ils ont un genre animé et un genre inanimé. Un autre trait leur est commun avec divers idiomes de la Polynésie et avec les langues hottentotes, c’est l’existence de deux pluriels et parfois de deux duels, l’un exclusif et l’autre inclusif, autrement dit l’un particulier et l’autre général.

On a tenté une classification des langues américaines : c’est une tâche difficile, parce qu’en général, chez les populations qui vivent par tribus très fractionnées et dans un état sauvage, les mots s’altèrent beaucoup en passant d’une tribu à l’autre. Des mots nouveaux sont créés avec une grande facilité, et si l’on ne tenait compte que de ces différences, on pourrait croire à des langues fondamentalement distinctes. Un savant américain, M. Albert Galatin, a trouvé dans l’Amérique du Nord trente-sept familles comprenant plus de cent dialectes, et encore est-il loin d’avoir épuisé tous les idiomes de cette partie du monde. Un philologue berlinois, M. Buschmann, a démontré que les langues athapaskas se rattachent d’une part à plusieurs idiomes de l’Orégon et de la Nouvelle-Californie, de l’autre au nahuatl, en sorte que la famille athapaska doit être regardée comme la souche d’une grande formation linguistique qui s’étendait de l’Atlantique à l’Océan-Pacifique.

Au centre de l’Amérique, nous trouvons quatre familles. La première est la famille quicho-maya, dont les principaux représentans sont les idiomes du Yucatan. La seconde famille est représentée par l’otomi, dont on avait d’abord