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raître du code un article devenu d’ailleurs d’une exécution difficile. Il est certain qu’il y a ici une situation assez bizarre, qui a été remarquée plus d’une fois même sous la monarchie de juillet. Les gouvernemens revendiquent le droit de délivrer des titres de noblesse, et, comme ils sont désarmés de toute force répressive contre ceux qui se font une noblesse de fantaisie, ils se trouvent en réalité investis d’une prérogative illusoire. Il n’est pas moins clair que depuis bien des années la contagion de l’anoblissement volontaire, a fait d’étranges progrès. Il y a un envahissement de titres capricieux qui donne parfois à notre société une apparence toute fantastique. On se fait comte, ou on impose à son nom toute sorte de modifications inattendues. Comment remédier à ce mal, et arrêter un peu cette invasion de l’armée des anoblis ? Là est le difficile. Le ridicule ne suffit-il pas ? dira-t-on. Hélas ! si le ridicule était mortel, combien de gens n’existeraient plus qui sont aujourd’hui en merveilleuse santé ! Le ridicule ne tue guère plus, il fait vivre quelquefois. Chose singulière, il y a en France une sorte de passion de nivellement démocratique, et en même temps il y a une rage de titres, de distinctions honorifiques. C’est que, comme le disait spirituellement le rapporteur d’une pétition sous le gouvernement de juillet, « chacun veut être l’égal de ses supérieurs et le supérieur de ses égaux. » Voilà le problème que la société donne à résoudre aux hommes d’état. Il s’agit de maintenir le niveau des mœurs démocratiques, et en même temps de relever les titres de noblesse, de leur donner pour défense la loi même ! Et quand on aura résolu ce problème, il en restera un autre encore, celui de savoir, sauf des exemples éclatans et individuels, où est la noblesse, si elle ne s’est pas tuée elle-même, si elle ne se tue pas chaque jour, lorsqu’on voit tant de nobles vendre leurs terres, renoncer à tout ce qui ferait si aisément leur influence, pour se jeter dans les spéculations et dans les aventures.

L’industrie, à côté de tant de spéculations factices ou périlleuses, a ses œuvres intelligentes, ses travaux permanens et féconds, et même ses fêtes, qui ont une solennité particulière quand elles sont en quelque sorte l’image d’un progrès réel et juste. Parmi toutes ces lignes ferrées qui rayonnent à la surface de notre sol et qui tendent à enlacer le pays tout entier, l’une des plus dignes d’intérêt est cette voie qui était inaugurée il y a peu de jours à Toulouse, et qui relie désormais Bordeaux et Cette, l’Océan et la Méditerranée. Il y a plus de quatre ans déjà que la concession du chemin de fer du Midi a eu lieu. Fragment par fragment, cette ligne est allée d’abord de Bordeaux à Toulouse, qu’elle atteignait l’an dernier. La partie qui sépare Toulouse de Cette restait encore en construction, et c’est celle qui vient d’être inaugurée, qui est livrée maintenant au commerce, aux voyageurs, à tous ceux que leurs intérêts ou leurs goûts jettent sur les routes du monde moins pour visiter un pays que pour le traverser en courant. La compagnie a voulu donner à cette solennité un caractère exceptionnel ; elle avait attiré à la cérémonie d’inauguration qui a eu lieu à Toulouse les autorités publiques, des chefs de l’église, des ingénieurs, des écrivains, des habitans notables du Bas-Languedoc et de la Guienne, qui tous se sont rencontrés à cette fête, dont les intérêts du Midi étaient pour ainsi dire les héros. Le chemin de fer nouveau traverse une des plus riches, une des plus fertiles régions de la France, et ce n’était pas le spectacle le moins curieux que l’apparition de la vapeur