Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les prétentions de pontifes rivaux, sans embarras ni crainte, le grand docteur fera cesser le scandale qui désole le monde chrétien et désignera d’un geste d’autorité le véritable pontife. Cette prétention de la papauté à l’infaillibilité, les docteurs français la déclareront, si cela devient nécessaire, contraire aux traditions et à l’orthodoxie, et la transporteront du pape au concile, et de Rome à l’église universelle. De saint Bernard à Gerson et à Pierre d’Ailly, la France n’a cessé de s’élever contre les abus ecclésiastiques, de demander la réforme de l’église, et cela non dans une pensée hostile encore une fois, mais par intérêt pour l’église, car la France du moyen âge, si prompte à s’élever contre l’injustice et le népotisme des prêtres, est d’une ardeur sans égale quand il s’agit de repousser leurs ennemis ; elle ne les persécute pas, elle les détruit entièrement. Le rationalisme naissant est écrasé dans son germe avec Abailard ; l’audacieuse hérésie des Vaudois est noyée dans le sang et ensevelie sous les ruines d’une civilisation charmante. Jean Gerson et Pierre d’Ailly, de la même main dont ils viennent de signer la déchéance de Balthazar Cossa, signent la condamnation des doctrines de Wicleff et le bûcher de Jean Huss. Tel est l’esprit religieux de la France du moyen âge ; dans ses persécutions comme dans ses cris de réforme, elle n’a jamais en vue que l’orthodoxie. Rien ne l’en fait dévier, ni les abus et les scandales contre lesquels elle s’élève, ni les pentes dangereuses de la rêverie monastique et les excès de la vie contemplative, ni ces sollicitations et ces inquiétudes de l’esprit humain qui remue sourdement avant de s’éveiller tout à fait et pour toujours.

C’est cette prétention permanente à l’orthodoxie qui a fait depuis son origine jusqu’à son déclin l’originalité de l’église française. S’il y a dans la chrétienté une église qui se soit attribué le droit d’infaillibilité, c’est l’église française. « Nous sommes les meilleurs juges de la vérité religieuse, » telle est la parole hardie que semblent répéter de siècle en siècle nos théologiens et nos docteurs depuis saint Bernard jusqu’à Bossuet. Cette prétention a eu deux grands résultats qui remplissent toute notre histoire : elle a donné à la France assez de liberté d’esprit pour empêcher la religion d’y dégénérer jamais en superstition, elle lui en a donné trop peu pour qu’il lui fût possible de rompre avec les vieilles habitudes et d’oublier les vieux enseignemens. Elle a empêché la France de tomber dans l’asservissement spirituel, elle lui a défendu en même temps de se délivrer jamais entièrement de la tutelle ecclésiastique. Elle lui a permis de résister à la papauté et de lui faire la leçon, elle a conservé et préservé contre les attaques les plus furieuses ou les mieux fondées, contre la renaissance, contre la réforme, contre le rationalisme et la