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deux sources légendaires auxquelles nos poètes nationaux et leurs rivaux des autres pays ont puisé sont françaises. La légende de Roland et des pairs de Charlemagne est la poésie d’un passé historique exclusivement français, et la légende du roi Arthur et de la Table-Ronde n’est-elle pas comme un ressouvenir obscur de nos origines ? Ainsi cette fleur idéale du moyen âge, la chevalerie, est née et a grandi en France ; c’est là qu’elle a répandu ses plus odorans parfums, c’est de là que sur l’aile du vent des orages et des violences féodales elle a transporté ses semences dans tous les pays, dans la brumeuse Angleterre, dans la barbare Allemagne, dans la mercantile Italie, jusque dans l’Espagne musulmane et dans le petit Portugal, création d’un chevalier français.

Cette chevalerie mourut rapidement dans tous les pays de l’Europe. Chaque peuple, arrivant tour à tour à la conscience et à la possession parfaite de son originalité, abandonna cette imitation étrangère ; mais elle était tellement un produit de notre génie national, qu’elle ne mourut chez nous qu’avec une lenteur étonnante, et qu’on en peut suivre la décrépitude maladive et les infirmités à travers les âges, jusqu’au siècle de Louis XIV. Elle râle dès la fin du XIIIe siècle, mais elle a de merveilleux retours à la santé, et sa vitalité est tenace. Elle épuise toutes les formes possibles avant de quitter la vie ; après avoir été une religion, elle devient une dévotion, puis une mode, puis un doux regret. Après avoir été l’idéal des vaillans et des nobles, elle devient la chimère des sots et des fous. Enfin, lorsqu’elle est bien morte, et que son nom même est oublié, elle trouve dans sa mort un nouveau principe de vie. Elle prendra une nouvelle forme, et les hommes lui donneront un autre nom, mais ce sera toujours elle qui cachera sa résurrection sous ses nouveaux déguisemens. Le même effort spontané, le même esprit d’ardeur élevée, le même idéal exalté vont se retrouver par miracle, à la fin du XVIIIe siècle, chez des fils de bourgeois et de paysans. Que disais-je donc que la chevalerie était l’œuvre de la noblesse française ? Nos nobles en ont été les représentans uniques pendant de longs siècles, ils en ont été une des expressions matérielles et de fait ; mais l’idéal lui-même de la chevalerie, dégagé de toute représentation extérieure, n’appartient à aucune caste : il est profondément populaire, il est sorti de l’âme et des instincts de la nation. Rien ne fait mieux comprendre que certaines scènes de la révolution combien la chevalerie est une création instinctive du génie national, et non l’apanage enviable d’une classe privilégiée. L’élan de la première croisade n’a rien de plus beau ni qui fasse plus d’honneur à la nature humaine que le mouvement des fédérations, les enrôlemens volontaires, la première victoire à Valmy, — scènes, dit admi-