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régulière, ou du moins cette marche régulière n’a rien qui pique l’intérêt ; le peuple n’a qu’un rôle exceptionnel, mais celui-là surprend l’admiration. Ne parlez pas au peuple français d’intérêts mesquins, de petites intrigues, de luttes restreintes dans d’étroites limites ; il ne se dérange pas pour si peu. La nation reste inerte et muette devant ces querelles, comme si elle n’en était pas l’enjeu même. Le peuple semble ne comprendre que les grands intérêts et les grandes questions ; alors il se lève avec une spontanéité et une unanimité incomparables. Si la parole du précurseur : vox populi, vox Dei, a été réalisée quelque part, c’est en France. Le peuple remplit dans notre histoire une sorte de rôle providentiel, et vient mettre à néant toutes les combinaisons de ses ennemis et toutes les inductions de la sagesse humaine. Ce peuple, qui a toujours eu moins de moyens d’information que tous les autres peuples, moins de curiosité politique, qui n’a jamais eu le courage de défendre ses droits pied à pied, qui n’a jamais ressenti les salutaires terreurs que donnent à toute nation sage les empiétemens sans importance immédiate, apparaît souverain irrésistible dès que sa cause semble désespérée, et sa ruine près de se consommer. Alors il répare en un instant les maux quelquefois séculaires que sa paresse et son indifférence ont laissé grandir outre mesure. Ses apparitions ont un élan, une unanimité, une spontanéité tels qu’elles peuvent à bon droit s’appeler miraculeuses et idéales. Il en est ainsi de son apparition à la fin des guerres anglaises, lorsqu’il s’incarna et se résuma tout entier dans la personne de Jeanne d’Arc ; il en est ainsi de son unanimité à la fin du XVIe siècle, lorsqu’une opinion publique longtemps partagée, si bien partagée que les meilleurs esprits avaient peine à reconnaître où elle était réellement, se prononça nettement, de manière à ne laisser aucune ressource à l’esprit de faction ; il en est ainsi de ce frisson électrique qui parcourut toute la France en 1789, de cet élan avec lequel la nation s’engagea dans ses nouvelles destinées et mit fin à un passé longtemps aimé et longtemps méprisé. Jamais pareils souffles populaires n’ont passé sur aucun pays, et n’ont mieux déconcerté les projets des ambitieux et la vaine sagesse des sages. À chacun de ces mouvemens, les politiques et les puissans ont dû courber la tête, et ont senti comme le prophète passer le souille de l’esprit.

Voilà la nation française prise en masse, telle qu’elle a toujours été : patiente, résignée, supportant la réalité sans l’aimer, et même sans songer à lui demander toutes les joies et toutes les consolations qu’elle peut offrir, paresseuse à défendre jour par jour ses droits, indifférente pour tous les intérêts mesquins, ignorante de cette maxime, qu’il n’y a pas de petit intérêt, peu curieuse des choses qui ne peuvent pas enflammer son imagination ou exciter son admira-