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les temps comme un indélébile caractère du passé, même en leur abandon et leur déchéance. Ici rien de pareil, et vous vous demandez comment ces maisons, de mesquine et bourgeoise apparence, qui bordent des rues tortueuses où vous ne cessez de grimper, ont jamais pu servir de résidence à ces magnifiques procureurs et assesseurs chez lesquels des princes souvent faisaient antichambre. Le fait est que les plus brillantes parmi les habitations qui datent de cette époque ne dépassent pas la mesure ordinaire, et j’en dirai autant des nombreuses villas gracieusement éparpillées sur les collines du voisinage, et qui peuplent encore l’aimable vallée de la Lahn. Peut-être ces illustres personnages, s’attendant à être rappelés par leurs gouvernemens au bout d’une période plus ou moins prolongée, ne se souciaient-ils pas de se ruiner en frais de construction dans une résidence où ils n’exerçaient après tout qu’une magistrature temporaire. Quoi qu’il en soit, on voyait alors à Wetzlar de grandes existences, des porteurs de chaises allaient et venaient du matin au soir ; d’habiles cochers, emmitouflés dans la rheingrave héraldique, galonnés d’argent et d’or sur toutes les coutures, trouvaient moyen de faire manœuvrer, à travers ces labyrinthes étroits taillés dans la montagne, leurs carrosses à quatre et même à six chevaux. Les bourgeois de la bonne ville impériale avaient, il est vrai, pour dit de tenir leurs enfans sous clé crainte d’accident, et l’on ne rencontrait pas comme aujourd’hui des troupeaux de gamins s’ébattant autour des maisons.

L’hôtel où siégeait l’ancienne cour de chancellerie est maintenant une caserne. « Ce qui nous manquait, me disait, il y a tantôt quinze ans, un procureur octogénaire, dernier débris de ces temps héroïques, c’était la force exécutive ; à l’heure qu’il est, vous le voyez, monsieur, nous en avons trop. » Et il me montrait en souriant les chasseurs de la garnison qui paradaient sur la place à grand renfort de clairons et de musique militaire ; cedant arma togœ. À côté de la caserne est le palais des archives, lourde et massive construction de la fin du dernier siècle, et qui n’a jamais été terminée. C’est là qu’il faut entrer pour voir un véritable pandæmonium de protocoles. La cour impériale de justice était la cour d’appel du saint-empire, une sorte de chancellerie germanique. Imagine-t-on ce que pouvait être à cette époque une chancellerie germanique, quant aux jours où nous vivons, après l’invention des chemins de fer, ce seul mot de chancellerie éveille encore l’idée de lenteurs incalculables et de séculaires temporisations ! Que de perplexités, que d’angoisses, de rancunes et de passions ensevelies dans ces parchemins qui dorment à jamais du grand sommeil des hommes et des choses ! Je pris dans un casier une pièce au hasard : c’était un document sous enveloppe adressé au tribunal à l’occasion d’un procès et destiné à éclairer la