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bres appartenaient naturellement à la noblesse. Il va sans dire que le fils du patricien de Francfort n’eut rien de plus pressé que de se faire recevoir de la société : dignus erat intrare. À défaut des instincts aristocratiques qu’on lui connaît, son goût, alors très prononcé, pour toute espèce de franc-maçonnerie et de romanesques aventures l’eût facilement entraîné sur cette pente. Le fondateur de ce club moitié sérieux, moitié burlesque, et que j’intitulerais volontiers une consciencieuse parodie, se nommait Frédéric de Goué : physionomie étrange que relève un éclair de génie, bizarre individualité dont je voudrais en passant pouvoir donner un crayon ! Né en 1743 à Hildesheim, Auguste-Frédéric de Goué, après avoir été attaché à la personne d’un comte de Bentheim-Steinfurt, occupait à Wetzlar l’emploi de secrétaire de la légation de Brunswick, lorsqu’il fit la connaissance de Goethe, qui parle de lui dans ses mémoires et dans sa correspondance avec Kestner. C’était un singulier compagnon, incapable d’entreprendre quoi que ce soit de sérieux, et qui finit par achever dans l’ivrognerie et la débauche une existence entremêlée d’occupations littéraires et de niaiseries héraldiques. Le bon Kestner l’appelle un génie, et un autre contemporain, Dietfurth, assesseur près la cour impériale, le caractérise comme un esprit ingénieux, mais foncièrement dissolu, et ne sachant que se dépenser en charges, drôleries et billevesées de toute sorte[1]. Tel était ce grand-maître du temple, et les divers affiliés de l’ordre s’intitulaient, celui-ci : Lubomirski le Guerroyeur, celui-là : Saint-Amand le Têtu. Il y avait aussi Eustache le Circonspect, Wenzel le Magnanime, Jérusalem le Taciturne. Quant à Goethe, on l’avait tout naturellement et tout simplement baptisé Goetz. Parmi les enfantemens de cette étrange muse (nous parlons de Frédéric de Goué), on cite deux drames, aujourd’hui oubliés[2], et que les critiques du temps mentionnent avec éloge ; mais celle de ses productions qui le mit surtout en évidence fut une sorte de parodie qu’il écrivit plus tard du célèbre roman de Goethe : Masure ou le jeune Werther, tragédie traduite de l’illyrien. L’action se passe à Varsovie, où Werther est secrétaire de la légation de Crimée et s’appelle Masure ; Lotte a nom Francisca, et Albert joue le rôle d’un référendaire impérial. Tout cela est d’un comique assez médiocre, et le cède beaucoup, en verve originale et en spirituelle raillerie, à diverses autres imitations qu’inspira le chef--

  1. Voyez Dietfurth, Aufzeichnung vom Jahre 1786. — Je trouve aussi à son sujet, dans la collection de Nicolovius, une pièce de vers assez amusante et que termine ce quatrain :

    Tu passes comme Diogène
    Enveloppé dans ton manteau,
    Buvant l’absinthe à coupe pleine,
    Et cynique jusqu’au tombeau.

  2. Dona Diana et Iwanette et Stormond.