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pour marquer toutes les fêtes de l’année. Il eût fallu imprimer en lettres d’or tout le calendrier.

Cette existence en pleine nature, ce continuel enchantement du paysage, que Goethe contemplait avec les yeux magiques de l’amour, devaient assez naturellement l’amener à ne rêver qu’églogues et bucoliques. Un de ses amis, Merck, à ce que je crois, d’autres disent Jérusalem, lui apporta le Village abandonné (the Deserted Village) de Goldsmith. C’était une occasion toute trouvée de faire passer dans la poésie tant de tableaux rustiques qui le charmaient si vivement : fêtes villageoises, kermesses carillonnées, marchés forains, vaillantes rondes, lorsque fillettes et garçons s’en donnent à cœur-joie, tandis que les sages du pays, fumant et buvant, tiennent conseil sous le vieil orme de la paroisse. Saisi d’un soudain enthousiasme pour l’œuvre de Goldsmith, Goethe entreprit de la traduire, sans réfléchir qu’il était trop plein de son sujet pour mener à bonne fin pareille tâche. Quelle idée aussi de se vouloir faire traducteur quand on a en soi de quoi substanter vingt poèmes ! Heureusement rien ne se perd, et de l’élaboration secrète des germes conçus à cette époque se dégagea plus tard Hermann et Dorothée.

Ainsi s’écoulait ce rêve de jeunesse entre les joies de l’amour et ses peines, entre le culte de l’art et la contemplation de la nature. En général les mémoires de Goethe ne renferment que très peu de détails sur cette période, et c’est aux écrits du temps et surtout aux nombreuses correspondances récemment mises en lumière qu’il faut s’adresser pour reconstruire en son ensemble la simple histoire de son commerce avec Charlotte. Sur ce sujet, lui-même renvoyait à Werther, seul document spécial et dans lequel, « aux jours de la verte jeunesse, il s’est complu à décrire, encore sous le charme de la première impression, les circonstances fortunées qui ajoutèrent tant de délices à son séjour dans la vallée de la Lahn. » Mais Werther, après tout, est un roman, où la vérité, si fort qu’elle abonde, se mêle (comme du reste c’est son droit) à beaucoup de fictions, et qu’à la distance où nous sommes, on doit nécessairement consulter avec une certaine réserve, quoi qu’en dise l’auteur que j’ai cité plus haut[1], lequel déclare que la première partie du livre peut passer pour l’histoire même du poète.

Pour mieux jouir du tableau de famille et voir en ses naïfs épanchemens le spectacle inouï de cette passion à trois que la dignité morale des deux jeunes gens et de la jeune fille sauvegarde à la fois du scandale et du ridicule, entrons dans la petite maison de Wetzlar, dans ce sanctuaire domestique « où le calme respire, où le plus agréable entretien vous attend, où l’hospitalité la plus prévenante

  1. Voyez Berichtigung der Geschichte des Jungen Werthers.