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terres en toute propriété, et les paysans affranchis. Voilà la catégorie de la liberté. La seconde catégorie comprend 9,600,000 paysans de la couronne environ, censitaires des domaines de l’état et payant une rente modique : c’est la transition entre la liberté et le servage, c’est l’objet d’envie des autres serfs, qui souhaiteraient tous appartenir à la couronne. La troisième catégorie comprend les vrais serfs, 11,500,000, appartenant à environ 110,000 propriétaires, grands ou petits. Cependant il y a aussi des degrés dans la servitude. Selon l’usage primitif, chaque serf, pourvu d’un terrain qu’il cultivait pour ses besoins, devait quelques jours de corvée par semaine pour la mise en valeur du bien seigneurial. Dans le siècle dernier, une partie de la noblesse, qui de tout temps a séjourné à la ville plutôt qu’à la campagne, préféra au revenu de ses terres gérées par des intendans un revenu déterminé par le nombre de ses serfs; en d’autres termes, elle ne fit cas du sol que pour nourrir des paysans qu’elle frappait d’un impôt de capitation. C’est de cet abus criant, blâmé par Catherine II dans l’une de ses instructions, que date la première atteinte portée au régime de la glèbe, parce qu’il impliquait le remplacement de la prestation en nature par une redevance pécuniaire, et qu’en abolissant la corvée, il rendait aux serfs l’exercice d’une certaine liberté. Pourvu que la redevance soit payée, il leur est permis de ne travailler qu’à leur profit, où bon leur semble, comme ils l’entendent. Moscou contient environ 190,000 serfs qui s’engagent dans les manufactures, ou font tout autre métier. Il y a dans toute la Russie environ 7,000 paysans munis de la permission de faire du trafic; quelques-uns sont millionnaires et toujours serfs. Il est bien entendu que la redevance payée aux maîtres est proportionnelle aux gains présumés de la profession. Enfin on prétend que dès aujourd’hui les deux tiers du sol productif sont sous le régime de la rente, et l’on doit cette justice à l’empereur Nicolas qu’il tenta, par un ukase du 2 avril 1842, de généraliser cette transformation de la servitude. Eh bien! est-ce que la prévision de nouveaux progrès et de nouveaux bénéfices pour l’agriculture, en vertu de communications nouvelles, ne conduira pas tous les propriétaires à l’adoption de ce régime? Des contrats équitables assureraient l’exploitation féconde du sol. Cet état de choses serait le fermage moins la liberté; mais la liberté suivrait l’aisance. Par l’effet seulement de la division incessante des propriétés, conformément à la loi de l’égalité des partages, le nombre des propriétaires augmente, la part de chacun se réduit, et les paysans traiteront de leur rachat avec plus de facilité. À cette heure même, d’après des statistiques avérées, les deux tiers des 11,500,000 serfs appartenant aux particuliers servent de garantie hypothécaire aux prêts que les lombards et la banque