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origines douteuses d’un art dont, à proprement parler, la véritable et sérieuse histoire allait seulement commencer? La perte à ce point de vue ne serait pas trop regrettable, d’autant plus que le monument ære perennius que l’illustre prince-abbé et l’imperturbable professeur de Bologne avaient alors à cœur d’élever en commun n’en vit pas moins le jour. Les hommes de cette trempe ne se détournent jamais de leur voie, et les épreuves de ce genre ne font que les raffermir dans leur dessein.

Quel investigateur passionné, quel infatigable antiquaire, était en musique ce Gerbert, on ne l’imagine pas. J’en dirai autant de son collaborateur de Bologne, dont l’influence fut d’ailleurs sans bornes sur son époque. Jamais enseignement ne jouit d’un pareil crédit. Avoir été l’élève du père Martini passait dans le monde musical pour le plus beau titre de gloire, un simple mot approbatif émané de sa bouche d’oracle valait mieux pour l’avenir d’un artiste que tous les diplômes académiques. Comme on voyait aux jours d’Abailard s’acheminer vers Paris des multitudes de jeunes gens altérés de la parole du maître, ainsi des bandes de disciples fervens affluèrent dans Bologne, et telle était l’immense autorité du père Martini, telle était la considération universelle dont il marchait environné, qu’on a quelque peine à se figurer que semblable chose ait pu avoir lieu en plein XVIIIe siècle, et qu’on se croirait presque transporté au sein de quelqu’une de ces périodes naïves du passé qui, grâce à l’absence de cet esprit de scepticisme et de fronde, de ces raffinemens de critique et de sagacité, permettaient à un homme de se développer tout entier sans encombre et de valoir librement ce qu’il vaut.

Maintenant, si du spectacle auquel nous venons d’assister nous reportons nos regards sur ce qui nous entoure, quelle différence entre ces hautains et vigoureux polémistes du bon vieux temps, ces paladins de la double-croche, à la perruque ébouriffée, à l’épée toujours bien affilée, et l’honnête monde d’à présent, si tranquille et si casanier! Des savans illustres, la musique en possède encore, et rien n’indique, Dieu merci, que la race en doive disparaître. En France, en Allemagne, en Italie, il en est bien de huit à dix que l’on pourrait nommer; mais, je le demande, qui s’occupe de leurs recherches? En dehors d’un petit cercle d’initiés, quelle influence exercent leurs travaux et leurs doctrines? Où sont-ils, les grands agitateurs de l’opinion publique? J’avoue qu’en France je n’en vois guère, et que de l’autre côté du Rhin mes yeux ont beau chercher, ils ne découvrent rien. Peut-être me citera-t-on M. Richard Wagner, ce doctrinaire, hélas! trop fameux, du radicalisme musical! Sans aucun doute M. Richard Wagner voudrait jouer un rôle; malheureusement le public s’entête à ne se point vouloir prêter à cette fantaisie; pour se battre, il faut être deux, et jusqu’ici la mauvaise étoile de M. Wagner semble vouloir que les adversaires lui manquent. Aussi n’est-ce point un spectacle médiocrement bouffon que de voir ce duel à outrance, cette lutte d’extermination, où M. Wagner s’obstine avec des adversaires qui lui jouent le malin tour de ne point apparaître. Il défie le monde entier, et l’indifférence publique seule lui répond. Parlez-moi de Mattheson et des polémistes de son époque. Ceux-là du moins combattaient au milieu du vacarme, les applaudissemens ni les huées ne leur faisaient défaut, et s’ils pouvaient avoir à craindre quelque chose, ce n’était certes pas l’indifférence de la galerie. Ajoutons, à l’honneur de ces guerroyeurs imperturbables, qu’ils combattaient