Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendre des points à l’opinion qui ne prétend voir dans les religions qu’un moyen de tromper les hommes. Assurément il est permis de rappeler qu’elles sont utiles à la société. Aucune nation civilisée ne s’est passée de culte public, et sous une forme sacrée comme elles, les croyances régulatrices du cœur humain ont obtenu plus d’empire et de popularité. Un homme sincère doit donc respecter la religion de son pays, lors même qu’il ne verrait pas en elle la vérité parfaite. Il peut s’abstenir de chercher à séparer les grandes vérités qu’elle renferme des illusions qui s’y mêlent, quand cette séparation est impraticable dans l’esprit des peuples, et préférer encore la vérité même altérée à l’erreur intégrale, à la négation de la vérité; mais c’est la crainte et la haine de l’athéisme qui l’inspirent alors et le justifient, et l’athée n’a pas le droit de l’imiter, s’il ne confesse le projet odieux de réaliser l’oppression par l’imposture.

Les argumens de ce genre ont ce grand inconvénient, qu’ils peuvent presque également servir pour une religion vraie et pour une religion fausse. C’est pour cela que tout fidèle n’en doit user qu’avec réserve, et que M. de Maistre, qui n’en connaît presque pas d’autres, compromet une cause digne pourtant d’être plus noblement défendue. Presque jamais la religion n’est présentée dans ses livres que comme une institution consacrée par l’histoire, salutaire dans ses effets, conservatrice des gouvernemens, en un mot contre-révolutionnaire. La vérité divine en est supposée plutôt qu’exposée, et bien rarement fait-il quelque allusion à la sublimité philosophique du dogme pour établir l’autorité de l’institution. C’est au contraire l’institution qui semble toujours recommander le dogme; c’est l’église qui sert de fondement à la foi, ou plutôt c’est le pape, car l’église ou le pape c’est tout un. Ce ne sont point ici des manières de parler. « Le dogme capital du catholicisme est le souverain pontife, » dit en toutes lettres M. de Maistre. « Les droits du souverain pontife et sa suprématie spirituelle, ajoute-t-il, forment l’essence même de la religion[1]. » Le premier, je crois, il a exprimé en français d’une manière aussi absolue, aussi violente, ces maximes, qui sont devenues courantes aujourd’hui. Il y a cinquante ans qu’elles auraient bien surpris les vénérables restaurateurs de notre église. Je ne sais si de ce côté des Alpes un seul prêtre se fût permis au XVIIe siècle un pareil langage; mais on a changé bien des choses pour la plus grande gloire de l’unité et de la perpétuité de la foi.

Nous arrivons ainsi au livre Du Pape. C’est assurément celui où l’auteur a le plus clairement montré combien les questions spirituelles étaient au fond pour lui des questions politiques, et il suffit

  1. Lettres et Opuscules, t. Ier, p. 444; t. II, p. 389. — Du Pape, t. II, p. 201 et passim.