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clergé était janséniste en puissance, ou du moins par tendance. Assurément ni Bossuet, ni une foule de gallicans, n’étaient actuellement jansénistes; mais M. de Maistre ne me démentirait pas, si je disais qu’ils étaient en voie de l’être. Bossuet se déclarait thomiste sur les matières de la grâce. Dans les affaires de la bulle, il demandait toujours qu’on ménageât M. Arnauld, un si grand homme; il combattait la morale relâchée des casuistes, il se défiait des jésuites. Fleury était son secrétaire et son ami. « Quoi! disait l’évêque de Meaux en parlant de Rome, Bellarmin y tient lieu de tout et y fait seul toute la tradition! Où en sommes-nous si cela est, et si le pape va condamner tout ce que condamne cet auteur? » Tout cela est bien gallican; tout cela est dans le sens du jansénisme. On ne peut nier que les livres de Port-Royal n’aient été l’école de la jeunesse française. Les sentimens presque unanimes de l’ancienne magistrature ne peuvent être méconnus, et à l’exception de Fénelon, on citerait difficilement un grand écrivain qui se soit explicitement déclaré pour les maximes ultramontaines. Encore Fénelon était-il libéral à sa manière, et a-t-il plus poussé qu’aucun autre, par l’indépendance de ses idées, à la sécularisation de la philosophie morale.

Ce caractère, que j’appelle janséniste faute d’un meilleur mot, et que j’attribue au génie du XVIIe siècle, est précisément ce qu’on tient aujourd’hui à effacer sans retour. L’église, qui vit du passé, l’église, à qui importent tant les exemples et les traditions, en est venue à reconnaître, à proclamer qu’en ses jours de splendeur elle a fait fausse route, et elle cherche à innover contre une tradition plus que séculaire. Pascal a eu tort d’écrire les Provinciales et de prendre si fort au tragique la misère de l’homme depuis le péché. Arnauld, Nicole et tant d’autres ont égaré les esprits par ces livres de piété, de morale et d’éducation, si longtemps étudiés avec autant de goût que de respect. Bossuet est un guide périlleux, dès qu’il s’agit du libre arbitre, des cas de conscience et de l’église. Les sermons du père Latour ne peuvent être lus qu’avec défiance, et Massillon a poussé le rigorisme jusqu’à l’hérésie. Dans l’histoire, non-seulement les Dupin et les Launoy, mais les Tillemont, les Mabillon, les Fleury, sont suspects. Un venin funeste avait été sucé avec le lait du christianisme par ces poètes admirables et ces prosateurs habiles, honneur de notre langue et de notre littérature. En un mot, le XVIIe siècle, ce temps de génie qui est certainement le zénith éclatant de l’ancienne France, s’est dangereusement trompé sur le péché originel, sur les rapports de la grâce et de la liberté, sur l’essence de la nature humaine, sur le gouvernement de la conscience, sur les conditions du salut, sur les rapports des deux puissances, sur la constitution de l’église, et par suite sur le principe même de l’autorité et