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la démocratie, ont laissé une réputation contestée. Loin de nous la pensée de nous faire les échos des haines calomnieuses des partis; mais ces théologiens d’une école impuissante et oubliée n’ont point eu les caractères de supériorité qui permettraient de les prendre pour maîtres et d’invoquer leur autorité. Leurs écrits ne sont pas des monumens du génie, et la métaphysique aride et subtile de M. de Donald, la hauteur dictatoriale des paradoxes de M. de Maistre, la véhémente dialectique du premier M. de Lamennais, enfin l’éloquence capricieuse mais animée, affectée mais brillante, de quelques prédicateurs de notre temps, pèseront toujours dans la balance de l’opinion plus que les argumentations modestes et les apologies obscures des adversaires démocrates du concordat. Il faut une doctrine plus nouvelle et moins compromise par de récens naufrages. Il faut des propagateurs d’idées dont l’esprit large parcoure tout le front de la société moderne pour pénétrer dans ses rangs, dont la voix douce et forte l’émeuve sans la troubler, dont la pensée sereine l’éclaire sans l’éblouir. Il faudrait un Gioberti dont le jugement dominât l’enthousiasme, et qui sût donner en même temps l’éclat et la solidité aux conseils de la raison et de la foi. Sans aucun doute on ne saurait tenir le passé en mépris : la faute même de ceux dont on voudrait arrêter les progrès est de méconnaître un passé glorieux en poussant la France à reculons dans la voie où les trois derniers siècles la faisaient marcher; mais en se réclamant des grands exemples, on ne doit pas s’attacher aux petits, et c’est d’une œuvre nouvelle qu’il faut entretenir la raison publique.

Disons-le avec un sincère regret, cette œuvre est presque tout entière à commencer, ou plutôt à recommencer. Ceux qu’elle devrait intéresser le plus, inquiets sur un dépôt sacré, entraînés par l’effroi universel, dominés par cet esprit étroit de conservation qui sacrifie à la sûreté du présent celle de l’avenir, n’ont su consacrer leur zèle, leur énergie, leur talent, qu’aux restaurations éphémères d’un semblant de moyen âge affecté et puéril, et par un mélange de vieillerie et de paradoxe, ils ont travaillé à détruire et à décrier les travaux des siècles les plus brillans de l’Europe moderne. A quoi sert pourtant d’être dans un vaisseau battu de l’orage, avec l’assurance qu’il ne périra pas, si l’on ne sait braver la haute mer, et si l’on ne songe qu’à se réfugier dans le port ruineux et ensablé d’où l’on était sorti sur la foi des astres et de l’espérance? Veut-on que l’église paraisse avoir cessé de croire en elle-même, qu’elle se sauve à la façon des pouvoirs de la terre, et comme si elle avait meilleure idée de son passé que de son avenir? Plus elle compte sur l’éternité, moins elle doit se défier du temps.


CHARLES DE REMUSAT.