Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’à un certain point de la réputation de son pays, et refuser d’insérer des articles de nature à faire tort à cette réputation. Que les gens qui veulent imprimer le mal qu’ils ont à dire d’autrui fassent des brochures et les distribuent comme bon leur semble, il est absurde d’en fatiguer tout le monde, et c’est faire tort aux abonnés que de bourrer leur journal d’une littérature si malsaine et si désagréable. »

Franklin était encore en Europe quand il s’exprimait ainsi sur le compte des journaux américains. À son retour dans sa patrie, il trouva le mal bien plus grand encore qu’il ne l’avait imaginé. Ni la position sociale, ni la renommée, ni l’éclat des services ne mettaient personne à l’abri des imputations les plus odieuses et les plus insensées. Non-seulement les journaux de Pensylvanie faisaient activement leur partie dans ce concert d’injures et de calomnies qui s’élevait de la presse américaine ; mais cette chère cité de Philadelphie, où Franklin se flattait d’avoir donné de si bons exemples et d’avoir répandu tant de bonnes maximes, était un des foyers principaux de la contagion. Les journaux n’y étaient ni plus retenus ni moins ingrats qu’ailleurs. Franklin eut beau se plaindre, et prier, et prêcher: il ne gagna rien sur personne, et, tout gouverneur qu’il était, malgré son âge vénérable, malgré sa grande réputation, malgré l’estime universelle, il fut attaqué, bafoué, insulté comme le moindre des aldermen ou des députés. Cela ne laissa point de lui être sensible en dépit de toute sa philosophie, et à l’âge de quatre-vingt-deux ans il reprit la plume, sinon pour récriminer, au moins pour prémunir ses concitoyens contre ce qui lui paraissait être un danger sérieux. Le dernier écrit qu’ait tracé cette main si ferme encore, mais que la mort allait bientôt glacer, est une critique ingénieuse des écarts de la presse ; il a pour titre : Notice sur le Tribunal suprême de Pensylvanie, autrement dit le Tribunal de la Presse. C’est une satire allégorique, genre que Franklin a toujours affectionné. Quelques mois avant cette brochure, Franklin avait publié ce qu’on peut appeler son dernier article. Il s’était adressé, sous un nom supposé, au journal que lui-même avait fondé, à la Gazette de Pensylvanie, dirigée alors par les fils de son ancien associé David Hall, et avait demandé qu’on voulût bien y insérer une lettre qu’il prétendait avoir reçue d’un de ses amis de New-York. Il avait entendu dire, assurait-il, à l’éloge de la Gazette de Pensylvanie, que, depuis cinquante ans qu’elle existait, elle n’avait pas publié un seul article diffamatoire ; elle ne devait donc pas hésiter à publier une lettre qui montrait quelle mauvaise réputation les excès de la presse pensylvanienne faisaient à la province, et qui servirait peut-être d’avertissement à tous les écrivains des États-Unis. En effet, un journal d’Europe, accusé de calomnier souvent les Américains, avait pu alléguer, pour