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tombât malade, ou seulement qu’il fût pris de l’envie de voyager, c’en était fait du journal le plus prospère. Nous en avons déjà donné des exemples ; on en pourrait citer des centaines. Il n’est point de ville aux États-Unis qui n’ait vu ainsi naître et mourir un nombre considérable de journaux, aussitôt remplacés par des successeurs également éphémères. Disséminés sur toute la surface du pays et atteignant même les points les plus reculés, croissant continuellement en nombre et en popularité, mêlés à tous les intérêts et à toutes les passions, affranchis de toute entrave, les journaux exercent en Amérique une influence sans rivale, mais cette influence appartient à la presse prise en masse ; aucune feuille ne sort de la foule et ne peut revendiquer une place à part.

N’oublions pas d’ailleurs, pour être équitables, que la presse est placée aux États-Unis dans des conditions toutes spéciales, qui favorisent son développement rapide, mais qui lui rendent peu accessible la supériorité littéraire. En Europe, le journal, qui répond surtout à un besoin intellectuel, a devancé les annonces ; en Amérique, ce sont les annonces qui enfantent les journaux, et ceux-ci se ressentent nécessairement de leur origine toute mercantile. Si dans le vieux monde, au sein de nos villes populeuses, l’affiche est encore le moyen de publicité le plus général et le plus sûr, il n’en saurait être ainsi dans un pays tout neuf: aux États-Unis, l’affiche, quand elle n’est pas matériellement impossible, est improductive, parce que la population est clair-semée et disséminée sur de vastes étendues de terrain : il faut que l’annonce aille trouver le client jusque dans la solitude de la forêt ; elle est donc conduite nécessairement à emprunter la voie du journal, et où le journal n’existe pas, elle le fait naître. Le journal d’ailleurs est toujours le bienvenu au milieu des défrichemens ; il est une mine de renseignemens indispensables, il donne les jours de marché dans tout le district, il fait connaître le prix des denrées, il enseigne où l’on pourra trouver au plus près ce dont on a besoin ; en politique, il enregistre les décisions législatives et rappelle l’époque des élections, il indique les candidats en spécifiant leurs opinions et leurs titres : il sert à la fois d’almanach, d’annuaire et d’agenda, et souvent il est toute la bibliothèque du squatter. En France, le gouvernement ne se borne pas à nous gouverner ; c’est lui qui nous instruit de ce que nous avons à faire, qui nous renseigne sur ce que nous devons savoir, qui nous convoque quand nous devons nous réunir : peu s’en faut qu’on ne le charge du soin de nous loger et de nous nourrir. Un journal est donc pour nous un objet de luxe : en Amérique, où il est souvent le seul lien qui rattache au monde le colon isolé, le journal est un objet de première nécessité. Quand les chênes séculaires sont tombés sous la cognée, quand le