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crise; elle vit au jour le jour de la vente de ses numéros : lorsque la foule mécontente délaisse la feuille qui a été l’objet de sa prédilection, lorsque les crieurs et les agens restreignent leurs achats, la famine frappe à la porte, et le journal est obligé de se condamner au silence, ou de changer d’opinion et de hurler avec les loups. Il y a souvent pour procéder ainsi un mobile plus impérieux encore que la crainte de la ruine. La multitude est aussi absolue dans ses exigences que le despotisme, et elle n’a pas besoin comme celui-ci de recourir à l’hypocrisie. On a vu plus d’une fois aux États-Unis la populace envahir les bureaux d’un journal et les mettre à sac pour étouffer une contradiction qui déplaisait. Les journaux catholiques ont eu mille persécutions à endurer, et il est rare que du sein du parti vainqueur il ne sorte pas des menaces à l’adresse des journaux qui ont défendu et qui soutiennent encore l’opinion qui a succombé. Vingt fois l’écrivain le plus écouté du parti démocratique, Bryant, a dû élever la voix et réclamer pour ses adversaires la liberté de la contradiction. Lorsque la question du Nicaragua, assoupie plutôt que résolue par le traité Clayton-Bulwer, passionnait l’opinion publique et que les têtes tournaient à la guerre, le National Intelligencer garda un silence absolu. Ce mutisme fut d’autant plus remarqué, que ce journal, en relations alors avec le ministère des affaires étrangères, était plus en état qu’aucun autre d’éclairer le public et d’exprimer un avis sur la question en litige entre les États-Unis et l’Angleterre. Interpellé par ses confrères, le National Intelligencer se contenta de répondre : « Il est des sujets sur lesquels un journal quelconque ne peut entreprendre de dire la vérité sans risquer moins que la pendaison. » En enregistrant cet aveu, le Journal du Commerce de New-York le faisait suivre des réflexions suivantes : « On a souvent remarqué, et cela est parfaitement vrai, que l’opinion est moins libre, que la presse est plus enchaînée dans ce pays que dans aucun autre en possession d’institutions libérales. La presse des États-Unis a la licence sans avoir la liberté; elle sert d’organe à bien des calomnies, mais à fort peu de vérités. Elle a le courage de falsifier et de défigurer, et elle n’a pas l’énergie d’exprimer des opinions qui ne seraient point agréables à certaines cliques, ou qui seraient contraires au courant des préjugés aveugles. » Nous nous en tiendrons à cette appréciation, dont la sincérité ne saurait être suspecte, puisqu’elle émane d’une plume américaine.

Il est une justice à rendre aux journaux des États-Unis, c’est qu’ils sont généralement irréprochables au point de vue de la morale. Tout ce qui peut porter atteinte à la religion ou blesser une oreille délicate est soigneusement banni de leurs colonnes. Ils ont sous ce rapport des scrupules qui leur font honneur, et ils sont sou-