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littéraire, dans la Revue de l’Amérique du Nord, était confiée à Richard H. Dana, qui fut le premier en Amérique à s’affranchir de la tutelle des aristarques anglais. Les écrivains de la Quarterly Review et de la Revue d’Edimbourg étaient encore à cette époque les fidèles gardiens de la tradition du XVIIIe siècle : ils ne juraient que par Pope et par les contemporains de la reine Anne, et pendant qu’ils conservaient à des productions aussi glaciales que régulières une admiration exclusive, ils accueillaient avec une impitoyable sévérité les débuts de Byron, de Moore et de toute l’école nouvelle. Comme il arrive toujours, les littérateurs de Boston, les universitaires d’Harvard et de Cambridge renchérissaient encore sur les rigueurs de Jeffrey. Dana rompit avec les défenseurs de la règle, et tout en blâmant la recherche, la prétention et les écarts des premiers essais de Moore, il osa trouver à louer et chez Moore et chez Byron; au grand scandale de tous les classiques, il se fit le preneur de Wordsworth, de Coleridge et de Southey. A ceux qui reprochaient aux poètes lakistes de s’affranchir de toute règle, de déserter la réalité et de se perdre continuellement dans les régions du mysticisme et de l’abstraction, Dana répondait en défendant le droit de la poésie à poursuivre l’idéal et à s’aider de l’imagination pour s’élever par-delà le monde sensible. Trop libéral et trop éclairé pour apporter dans le jugement des œuvres de goût un esprit étroit et des préventions exclusives, Edward Everett s’affranchit, comme Dana, de tous les préjugés du passé. Longfellow, qui vint ensuite, renchérit sur tous les deux et appliqua à la critique les règles d’une esthétique obscure et raffinée qui ressemblait trop à une importation malheureuse de la métaphysique allemande. Tout au contraire le docteur Cheeve, ministre congrégationaliste à Salem, qui débuta dans la Revue de l’Amérique du Nord en 1832, apporta dans la critique littéraire toutes les qualités d’un esprit à la fois ferme et pénétrant et une grande sûreté de jugement unie à une diction élégante. M. Cheeve a considérablement écrit sur la littérature et la théologie dans les recueils périodiques de la Nouvelle-Angleterre. Beaucoup plus jeune que ses devanciers, M. E. Whipple, qui n’a commencé à écrire qu’en 1843, a fait preuve d’une facilité élégante et spirituelle, mais sa critique est essentiellement laudative.

La Revue de l’Amérique du Nord n’a pas rendu moins de services aux études philosophiques qu’à la littérature. Au commencement de ce siècle, les doctrines de Locke régnaient encore sans partage dans toutes les écoles de la Nouvelle-Angleterre; c’est à peine si dans quelques cours de timides emprunts faits à Reid et à Dugald-Stewart venaient mitiger la philosophie dominante. La première attaque contre l’école sensualiste partit de la Revue de l’Amérique du Nord; elle était