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Henri IV, après avoir conquis son royaume pied à pied, s’occupa sérieusement de l’administration intérieure de la France. Il avait fait la guerre avec courage, de façon à se concilier la sympathie et l’admiration des plus braves. Dès qu’il fut maître incontesté du trône, il sentit le besoin de justifier sa conquête, et voulut répandre sur ses sujets tous les bienfaits de la paix. Doué d’une vive intelligence, mais incapable d’une longue attention, il se faisait lire pendant une demi-heure le Théâtre de l’Agriculture d’Olivier de Serres, et se préparait ainsi à l’œuvre de pacification qu’il avait entreprise. Avant d’abjurer, il avait voulu vaincre, et son abjuration échappait ainsi atout reproche de lâcheté. Maître absolu du royaume de France, il choisit pour but unique de ses efforts la dignité de son pays et le bonheur de ses sujets. C’est là le caractère que lui ont assigné les devanciers de M. Poirson, et le nouvel historien n’y a rien changé. Est-ce donc à dire que son livre soit inutile? Loin de moi cette pensée. Toutes les fois qu’une idée vraie se trouve confirmée par des faits nouveaux, on doit s’en applaudir. M. Poirson célèbre avec un égal empressement les victoires glorieuses et les bienfaits de la paix. Après avoir lu les documens réunis par lui, on se sent pénétré d’une respectueuse admiration pour le Béarnais, qui fut d’abord un grand roi de guerre, et plus tard le protecteur assidu, éclairé des gentilshommes campagnards de son royaume. Il rêvait pour l’abaissement de la maison d’Autriche ce que Richelieu réalisa plus tard, mais il voulait l’accomplir dans d’autres conditions. Sa diplomatie généreuse et loyale se conciliait avec le respect des seigneuries locales. Avait-il tort? J’abandonne la réponse à ceux qui ont suivi le développement politique de la France de 1610 à 1643. Ce qu’il y a de certain, c’est que la politique intérieure et la diplomatie de la France son Henri IV ont pour la morale publique un aspect plus satisfaisant que la politique intérieure et la diplomatie de Richelieu. Permis à ceux qui ne voient dans les révolutions nationales que des accès de fièvre de dire que la tyrannie de Richelieu est pleinement justifiée par l’arrogance de l’aristocratie. Avec de pareilles théories, on trouve moyen d’amnistier les plus grandes cruautés. Quant à nous, qui plaçons en toute occasion le droit au-dessus du fait, nous ne plions pas le genou devant la puissance de Richelieu, et nous préférons le gouvernement conciliateur du roi Henri IV au gouvernement tyrannique du cardinal-ministre. L’échafaud envisagé comme remède drastique n’est pas de notre goût, et nous croyons que tous les hommes d’état vraiment dignes de ce nom partagent à cet égard notre répugnance. La hache n’est pas un argument, le sang qui coule n’est pas un aveu d’erreur; ceux qui mettent Richelieu au-dessus de Henri IV me paraissent l’avoir oublié.