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spirituelle tout aussi logique. M. Sainte-Beuve a déjà remarqué dans une des femmes les plus distinguées du siècle dernier ce mélange d’ardeur et d’ennui, de désir et d’impuissance, qui deviendra l’essence de Lélia.

La passion telle que la peint Mme Sand peut se résumer en quelques mots d’un de ses romans sur deux de ses héros : « L’un était nécessaire à l’autre;... mais la société se trouvait là entre eux, qui rendait ce choix mutuel absurde, coupable, impie. La Providence a fait l’ordre admirable de la nature, les hommes l’ont détruit. Faut-il que pour respecter la solidité de nos murs de glace tout rayon de soleil se retire de nous?.., » Supprimez ici la Providence et les murs de glace, il reste évidemment la théorie ou plutôt la pratique du XVIIIe siècle. C’est la morale de Mlle d’Ette dans ses conversations avec Mme d’Épinay. Le XVIIIe siècle ne mettait à l’amour qu’une condition, au risque de ne point voir toujours la condition remplie : l’essentiel était dans le choix. « Dans ces choses-là, dit Duclos, je ne fais point un crime à une femme d’avoir un amant, au contraire; mais je veux qu’elle ait le courage d’avouer hautement la préférence de cœur qu’elle lui donne. » Le fonds moral est le même dans les romans de Mme Sand, le procédé seul est différent. Sur cette donnée libre, l’auteur de Jacques n’a fait que jeter comme un voile la pourpre de son lyrisme, une métaphysique ardente et subtile, et la théorie réparatrice des droits sociaux de l’amour. De là cette étrange complexité des inventions de notre contemporaine, où l’on sent un épicuréisme enflammé jusque dans les aspirations en apparence les plus idéales, où l’on voit à chaque instant et souvent dans le même être poindre la bacchante Pulchérie sous la raisonneuse Lélia. Ce mélange même est-il donc si nouveau? Il se retrouve encore au siècle dernier dans la Nouvelle Héloïse, dans ce livre où un spiritualisme prétentieux ne sert parfois qu’à recouvrir de véritables grossièretés de sentiment. C’est ce qui explique aussi comment Mme Sand, puisant à cette source troublée, n’a jamais réussi à peindre l’innocence d’un cœur vierge; ses héroïnes manquent essentiellement de pureté. Obsédées d’une seule pensée ou d’un seul instinct, elles secouent violemment le lien qui les attache; elles plaident pour l’émancipation de leurs désirs, pour la légitimité de la passion libre, et au bout de chacun de leurs actes on aperçoit le dessein avoué par l’auteur, de mettre à nu « le rapport mal établi entre les sexes par le fait de la société. »

Le monde s’est laissé prendre plus d’une fois à ces plaidoyers ardens dirigés contre lui-même, à ces images séduisantes et trompeuses de la passion opposée au devoir, et ici pourrait naître une de ces délicates questions qui touchent au plus vif des choses du temps. Quelle a été l’influence de la littérature d’imagination sur la