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Je ne sais si on l’a remarqué, tout le monde est bâtard ou près de l’être dans les dernières inventions de Mme Sand; les champis ont pullulé; c’est une société qui semble avoir pour unique origine et pour unique loi le caprice des sens dans la liberté des liaisons, et il ne tient à rien vraiment que par amour de l’art le poète, dans son histoire, ne proclame sa propre illégitimité. Peintre de la passion, Mme Sand écrivait dans les premiers temps Valentine ou André; maintenant elle écrit la Daniella, une œuvre de sensualisme débordant, recommencée déjà bien souvent par l’auteur, et visiblement destinée à démontrer une fois de plus la supériorité des femmes de chambre dans l’amour. Il en est ainsi de tout. Autrefois, dans les Lettres d’un Voyageur, Mme Sand parlait de l’art avec feu, avec une grâce entraînante; elle se représentait parcourant l’Italie et les Alpes, recueillant sur son passage des images nouvelles; elle traçait de l’artiste un portrait sinon vrai, du moins brillant de poésie. Aujourd’hui elle écrit Favilla; elle construit de petits drames avec de petites idées qui ont déjà passé dans ses romans, et il lui arrive parfois de laisser échapper de ces phrases d’industriel dans l’embarras : « D’un côté, dit-elle en parlant de sa position en 1848, d’un côté on me menaçait d’une saisie sur mon mobilier, de l’autre les prix du travail étaient réduits des trois quarts; encore le placement fut-il suspendu pendant quelques mois! » Dans cette plainte touchante, reconnaissez-vous l’artiste des premiers jours? Enfin veut-on savoir où en est Mme Sand dans les évolutions philosophiques et sociales de sa pensée? Elle a bien erré, elle en est venue à se faire un petit symbole bien simple, bien clair, qui est le dernier mot du progrès, et qu’elle inscrit dans ses mémoires; il lui faut « la terre de Pierre Leroux, le ciel de Jean Reynaud, l’univers de Leibnitz, la charité de Lamennais. » On ne peut certes demander mieux.

Je ne veux dire qu’une chose, c’est qu’il y a dans ce talent un instinct grossier, une ivresse du sophisme, un goût de tous les excès qui ont sans cesse tendu à prédominer, et par une combinaison singulière plus ces élémens se sont fait jour, plus l’auteur s’est rejeté dans une phraséologie philosophique, sentimentale et mystique. Prenez bien garde : que Mme Sand décrive les impétuosités les plus ardentes des sens ou les liaisons les plus vulgaires, elle se servira de ces mots de vertu, de chasteté et d’extase idéale; qu’elle mette la main sur quelque système violent ou sur quelque factieux, elle parlera de progrès, d’héroïsme, elle invoquera les saints, les martyrs et Jésus-Christ lui-même; qu’elle trouve sur son passage quelque pauvre diable de comédien, elle va parler tout simplement de sa sublimité et de son génie, et Mme Sand, qui vit désormais dans cette atmosphère, qui s’est fait une habitude de ce langage, tout en assurant que « le faux, le guindé, l’affecté lui sont antipathiques, »