Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses électeurs de leurs suffrages à Southwark, un des faubourgs de Londres, se parait en même temps de son dévouement à la couronne, et il demandait pour la bonne reine, la bonne épouse, la bonne mère qui occupe le trône de l’Angleterre trois salves d’applaudissemens, répétées avec enthousiasme par toute la foule. Il y a eu un temps où en France de pareils exemples auraient été opportuns à suivre : ils reportent tristement le souvenir sur ces réunions d’autrefois où des députés du pays, liés par leur serment à la royauté, refusaient ou laissaient refuser le toast à un roi qui, par son attachement aux lois et aux libertés publiques, aussi bien que par toutes ses vertus domestiques, n’avait jamais cessé de mériter la confiance et le respect de la nation. Si l’ingratitude n’est pas seulement un vice du cœur, mais encore une faute qui coûte cher, la reconnaissance est au contraire une qualité qui fait honneur et qui profite. Elle a épargné à la Grande-Bretagne les folles épreuves des révolutions de hasard, et elle lui a donné l’heureux avantage de pouvoir mettre ses destinées à l’abri de ses institutions.

De tels bienfaits, il est vrai, demandent à être achetés au prix de l’effort; il faut les mériter pour les gagner : c’est en combattant qu’on en fait la conquête, et c’est en restant sous les armes qu’on les conserve. Tel a été le puissant moyen de salut dont l’Angleterre s’est servie pour sortir des dures épreuves qui, dans les mauvais jours de son histoire, ne lui ont pas été non plus épargnées; telle a été la fortifiante école à laquelle chaque génération de citoyens a été élevée. Ce sont les élections qui ont surtout contribué à garantir cette intervention active du pays dans ses propres affaires : elles ont assuré la représentation permanente de tous les intérêts et de tous les besoins, elles ont empêché que le gouvernement ne se mît peu à peu à la place de la nation. En perpétuant les traditions des meetings et des hustings, de la nomination et du poll, elles ont conservé à la liberté jusqu’à ce superflu qui, toutes les fois qu’il est sans dangers, n’est pas de trop, parce qu’il assure le nécessaire.

Le tableau général des élections montre dans tout son développement la force croissante de la vie publique dans la Grande-Bretagne. L’étude du système électoral, en faisant connaître les réformes qui en ont changé les abus sans en détruire les principes, et qui peu à peu ont pris le dessus sur les tristes habitudes d’une corruption invétérée, pourra également permettre d’apprécier le progrès persévérant de la constitution politique du pays. Après avoir fait la part de la nation, il faudra faire la part des lois, pour se rendre compte ensuite de la condition présente des partis dans le nouveau parlement.


ANTONIN LEFEVRE-PONTALIS.