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toutes les républiques espagnoles du Nouveau-Monde, de blancs, d’aborigènes ou Indiens, et de métis ou ladinos. Elle s’élève, dit-on, à 1,500,000 âmes, évaluation probablement trop faible, car le recensement ne peut atteindre tout le monde en des pays où les huit dixièmes des habitans sont Indiens ou métis. Cette proportion est remarquable : elle indique à la fois le peu d’importance que les conquérans attachèrent à la possession de ces contrées et le caractère relativement pacifique qu’y conserva leur conquête. Ici l’établissement de la domination étrangère fut exempt des épouvantables horreurs qui ensanglantèrent le Mexique et le Pérou. La république de Costa-Rica toutefois fait exception; là, sur un chiffre de 100,000 habitans, les Indiens ne figurent que pour un dixième. En même temps c’est de beaucoup le plus sage et le plus prospère des cinq états. La population de l’Amérique centrale fournit au territoire une moyenne de 100 habitans par lieue carrée. Comme terme de comparaison, on peut se rappeler que la Belgique a environ 2,500 âmes pour la même unité de surface.

Des deux races qui occupent le pays, la race aborigène est la plus curieuse, et c’est dans la province de Veraguas qu’il faut l’étudier. L’absence presque totale de mouvement sur cette côte a laissé à l’Indien sa physionomie originale; son langage même, dit-on, renferme encore des traces, non-seulement de l’idiome nahuatl apporté par les Mexicains, mais même des divers dialectes toltèques antérieurs à la domination mexicaine. Son visage cuivré, aux pommettes saillantes, ses yeux profonds, limpides et expressifs, ses cheveux noirs et droits, ses membres bien proportionnés, aux extrémités fines, indiquent une race pure. Ses habitudes sont simples et gardent surtout deux traits bien caractéristiques de la vie sauvage, la haine du travail et l’amour de l’isolement. No queremos mucha vecindad, me disait l’un d’eux : « nous n’aimons guère le voisinage. » En effet, leurs cabanes, éparses le long de la côte, sur le bord des rivières, au fond des baies ou sur les îles, sont rarement réunies en villages. L’existence contemplative de l’Indien n’est interrompue que par les quelques heures de travail nécessaire à l’entretien de son petit jardin, qui lui fournit sa nourriture, — du maïs, des bananes, quelques fruits. Le plus souvent ce jardin est assez loin de sa cabane et comme perdu au milieu des bois. Parfois pourtant ce goût pour la solitude cède à l’attrait d’une réunion officiellement annoncée; alors toutes les pirogues, chacune portant une famille, s’engagent dans l’arroyo (bras de rivière) qui conduit chez l’amphitryon. Au lieu du semblant de pantalon, costume ordinaire des Indiens, on voit reparaître ces jours-là les vêtemens bariolés, les ponchos (manteaux ronds) aux couleurs vives et éclatantes si chères aux races sauvages; les femmes, habituellement vêtues d’une simple chemise et d’un jupon, mêlent alors