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des fleurs rouges aux longues tresses de leurs cheveux, s’entourent le cou de colliers de graines, et garnissent de volans l’ouverture de la chemise, qui laisse la naissance de la poitrine à découvert. Dans ces fêtes, qu’anime le son de la guitare, les Indiens prolongent souvent leurs danses jusqu’au milieu de la nuit, heureux si quelques réaux égarés permettent d’y joindre le régal chéri de l’agua ardiente.

La poésie de ces Indiens est toute dans leurs chansons. Par malheur elle est devenue peu à peu espagnole, perdant ainsi son originalité primitive. Cette métamorphose est du moins une preuve de la parenté de génie des deux races. Ce n’est pas sans étonnement que j’ai retrouvé là une vieille et curieuse ballade espagnole, aujourd’hui sans doute oubliée en Espagne :


« L’épouse se lève un matin, disant qu’elle va au jardin jouir de la fraîcheur. Mieux lui valait dormir!

« Sur les beaux cheveux qu’en sa pensée elle destine à l’amour, elle jette, en sortant, une toque. Mieux lui valait dormir! »


Après plusieurs rencontres de mauvais augure, elle arrive au jardin :


« Elle n’y voit d’abord rien, et finit par rencontrer ce qu’elle n’y cherchait pas. Mieux lui valait dormir!

« Son amant tué, et près d’elle son mari, qui met fin à leurs deux existences. Mieux lui valait dormir ! »


En général, leurs chants sont tristes et mélancoliques : ils ont souvent un tour recherché que ne désavoueraient pas nos faiseurs de romances; mais on y trouve quelquefois un peu d’originalité et de grâce, comme dans ces quelques vers que j’entendis chanter par une jeune Indienne employée à une pêcherie de perles des îles Paridas :


« Jeune fille, dont les yeux si beaux brillent sous de longs cils dorés, puisse ta mère m’appeler son fils, et tes sœurs leur frère !

« Si je meurs, mon âme, enterre-moi près de ta couche, afin que tes yeux me servent de cierges! »


Ici, comme dans beaucoup de parties de l’Amérique espagnole, le clergé, rassuré par la facile soumission de ses prosélytes, leur a permis de conserver dans le rite catholique certains souvenirs de leur culte primitif. On regrette que l’insouciance des Indiens ait laissé échapper le sens traditionnel de quelques coutumes bizarres, qu’ils perpétuent sans savoir pourquoi. Cette insouciance va jusqu’à détruire chez eux toute trace d’affections de famille. Pendant une course en canot sur une des rivières du Veraguas, j’aperçus au fond de l’eau, très transparente en cet endroit, sous les racines des manguiers, le cadavre d’un enfant de cinq ou six ans. Je me dirigeai vers une cabane voisine; j’y trouvai une femme jeune encore, et l’informai de cette triste découverte. «Eh ! Miguel! » cria-t-elle à son