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Jamais dans l’Amérique espagnole on ne rencontre de ces misères en habit noir si fréquentes dans la société moderne : la raison en est dans ces habitudes hospitalières. L’homme qui a perdu toute ressource va chez quelque ami plus heureux; il y vit parfois des années comme ami de la maison, amigo de la casa, puis un beau jour il recommencera une vie indépendante, sans avoir connu ces obsessions de la misère qui suivent un revers. L’insouciance du débiteur ne peut être comparée qu’à celle du créancier.

L’avenir des enfans inquiète peu les familles, leur éducation encore moins; il en résulte une ignorance qui choquerait, si elle n’était générale. L’instruction des hommes se réduit en moyenne à un peu d’orthographe et d’arithmétique; ce peu, presque superflu pour entrer dans l’armée, est suffisant pour aborder le commerce. Les femmes ne savent rien, et les plus instruites n’ont d’autre notion sur l’Angleterre que la couleur du pavillon porté par ses navires.

Il n’y a pas de distinction entre les castes; tout est réellement accessible à tous, chose singulière dans un pays où la race conquérante et la race conquise sont restées en présence, où le régime colonial a été si longtemps exercé. Les fonctionnaires les plus élevés sont souvent d’origine indienne; on voit parfois de hauts personnages faire de leurs fils de simples dependientes (commis de maisons de commerce). L’égalité s’est établie avec la même facilité ou la même indifférence de la part des libéraux et de la part des conservateurs. Peut-être est-ce là une des causes de l’excessive mobilité politique de ces peuples. Dans une société peu avancée, la séparation des castes est un point d’appui pour le gouvernement.

Telle qu’elle est, cette société a pour l’étranger un charme singulier, tant l’accueil qu’on y reçoit ressemble peu à la réserve et à la froideur qui règnent dans nos salons d’Europe. Une recommandation n’y est pas considérée comme une lettre de change tirée par un ami indiscret : toujours acceptée avec empressement, elle vous ouvre dix portes; plus vous allez dans une maison, plus on aime à vous voir; vous devenez partie intégrante de la famille. Les femmes sont coquettes comme ailleurs, mais la coquetterie a chez elles un attrait de naïveté qui en ferait regretter l’absence; l’amour de la toilette, peut-être exagéré, est compensé par un goût parfait. Un esprit naturel du tour le plus franc supplée au manque d’instruction; cet esprit est toujours bienveillant, et le souvenir que l’étranger en conserve compte toujours au nombre des meilleurs.

Le défaut capital de la société espagnole de l’Amérique centrale est le manque d’énergie. Le jour où ce pays prendra, dans les relations des peuples, la place que la nature lui a assignée, on verra de nouvelles races s’y implanter. Que deviendra alors la société hispano-américaine? Ce qu’est devenue la population espagnole de la Califor-