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ter des armes fragiles ou prohibées. Ce qui est divin en soi s’humanise dans la pensée de l’homme, et la vérité, après avoir traversé ce milieu corruptible, peut se produire sous la forme de l’erreur. Rien n’est donc plus légitime que de discuter les apologies qui, telles qu’un lierre parasite, viennent s’attacher aux doctrines qu’on voudrait trouver saintes. C’est un devoir que de séparer ce qui est du ciel et ce qui est de la terre, surtout quand la foi n’est qu’en apparence engagée dans le débat, et qu’elle se trouve accidentellement mêlée, non sans un peu d’artifice, à des opinions de ce monde, destinées à changer avec nos gouvernemens, à périr avec nos discordes. Souvent, quand on vous parle religion ou philosophie, il s’agit de politique, écartez la religion, réfutez la philosophie, et marchez droit à la politique.

Le débat qui s’est rouvert depuis ces dernières années entre la religion et la philosophie, entre l’abus de la religion et l’abus de la philosophie, et dont on a voulu malheureusement ne faire qu’une annexe ou une forme de la querelle entre les idées de pouvoir et les idées de liberté, n’est pas fort nouveau. Dès le commencement de ce siècle, la révolution française l’avait ramené à la suite de son naufrage. On ne dit aujourd’hui des méfaits du XVIIIe siècle, des périls attachés à la liberté ou à la raison, des mérites du principe de l’autorité, rien que l’on n’ait dit aussi bien il y a cinquante ans, et si l’on n’a point alors converti le XIXe siècle, il faut qu’il soit difficile à toucher, car cette première réaction, provoquée par des souvenirs tout autrement tragiques, eut l’heureuse fortune de trouver des défenseurs dont les égaux ne sont pas communs. Le Génie du Christianisme, les ouvrages de M. de Bonald et du comte de Maistre, plus tard l’Essai sur l’Indifférence, sont assurément des plaidoyers que pour le talent ne répudierait aucune cause, et cependant le procès a été une première fois perdu. Malgré certaines apparences, ce serait marcher peut-être au même résultat que d’invoquer indistinctement les mêmes noms, et de se mettre sous la protection de tel ou tel des mêmes défenseurs, car je m’empresse d’écarter le premier et le dernier.

En dépit des origines politiques de M. de Chateaubriand, on doit se refuser à voir uniquement dans le Génie du Christianisme un ouvrage de parti. L’idée ingénieuse de recommander à l’imagination, au goût, au sentiment, la foi de nos pères, et de lui regagner les cœurs par la beauté plus encore que par la vérité, peut paraître à des esprits austères un peu au-dessous de la gravité du sujet. Encouragés par cette manière séduisante de persuader, les imitateurs ont pu se croire en droit de déplacer ainsi toutes les grandes questions en les faisant passer à leur tour du ressort de la raison dans