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part, les traités, même avec ce qui manque dans l’application, assurent aux Européens des avantages qu’ils apprécient grandement et qu’ils ne sont point pressés de remettre aux hasards d’une rupture. C’est une chose en effet remarquable que l’activité imprimée au commerce européen et ses rapides développemens pendant les douze ou quinze années qui ont suivi la conclusion des traités. Chaque jour voyait s’ouvrir de nouvelles sources-de profit, chaque jour faisait tomber une de ces barrières si soigneusement élevées entre l’Occident et les peuples du Céleste-Empire. Ce n’a pas été un des faits les moins curieux amenés par le nouvel état de choses que de voir le cabotage chinois, menacé par la piraterie, aller s’abriter sous le pavillon des puissances européennes. Ce cabotage immense, qui se fait non-seulement sur toute la côte de l’empire, mais entre cette côte et le Japon, les Philippines et surtout l’archipel indien, avait cessé d’être protégé par l’autorité défaillante du fils du ciel. Les jonques, qu’on voit sortir chaque année par dix mille des ports d’Amoy, de Shanghaï, etc., étaient incessamment assaillies par des nuées de pirates qui les rançonnaient, les pillaient, et ne craignaient même pas de les attaquer quand elles naviguaient réunies en escadres marchandes pour se protéger les unes les autres. Ces hardis écumeurs de mer se riaient des effroyables détonations et de l’infernal bruit des tam-tams avec lesquels on croyait les écarter, enlevaient les traînards, et quelquefois arrêtaient la flotte tout entière. L’idée vint alors aux Chinois, qui avaient appris ce que valent les armes et la navigation de l’Europe, de mettre leur commerce sous la protection de navires anglais, américains ou autres, dont les capitaines, s’ils n’avaient pas en vue d’opérations plus lucratives, acceptèrent volontiers le rôle de condottieri, qu’ils se firent chèrement payer. Cette maréchaussée d’un nouveau genre existe sur toute la côte. J’en parle moins à cause des bénéfices, quoique très considérables, que le commerce en a su retirer qu’à cause du changement remarquable attesté par ce fait dans les relations entre les Chinois et les barbares de mer. Comment désormais le superbe et imbécile potentat qui siège à Péking ferait-il croire à ses sujets que le commerce, dont il daigne octroyer la faveur aux Européens, est une aumône de sa pitié envers leur pauvreté et leur faiblesse, lorsque ses sujets eux-mêmes, pour leur propre commerce, se sentent réduits à demander à ces étrangers une protection que leur gouvernement est devenu impuissant à leur accorder? On a droit d’oublier ce genre de services, lorsqu’on les bien payant on s’est dégagé de la reconnaissance; mais on oublie moins aisément la supériorité de ceux de qui on les a reçus. Aussi bien le commerce chinois n’a pas tardé à faire un pas qui l’a mis bien davantage encore dans la dépendance des barbares. Les bénéfices que