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rapportait la spéculation dont on vient de parler devaient nécessairement faire que, d’accidentelle et de temporaire, elle tendît à devenir permanente. On vit donc des lorchas portugaises de Macao, fortement armées, montées par des équipages d’aventuriers, parcourir la mer de Chine, en cherchant partout l’occasion de combattre la piraterie; mais il arriva bientôt de cette espèce de chevalerie errante, organisée sur les mers, ce qui était arrivé au moyen âge de celle qui s’était vouée sur les grandes routes à la protection des voyageurs. Cette protection ne devint guère moins onéreuse et moins redoutée que le brigandage auquel elle faisait la guerre, et de proche en proche les Chinois en sont venus à l’idée de charger leurs marchandises sur les navires européens eux-mêmes. Cela se fait déjà pour les produits de l’archipel indien, pour les échanges du commerce chinois entre les cinq ports ouverts aux étrangers, et cela se fera bientôt dans tous les ports de la Chine. Les mandarins auront beau s’y opposer : ce résultat est inévitable dans l’impuissance où se trouve le gouvernement impérial de détruire la piraterie sur des côtes immenses, coupées de baies, de rivières et d’archipels sans nombre, en même temps qu’elles sont habitées par une population aussi pressée que misérable, et façonnée de longue main aux habitudes du brigandage maritime. Tant que ce fléau n’aura pas disparu, les négocians du Céleste-Empire ne trouveront de sûreté pour leurs cargaisons que sous les pavillons européens, et la nécessité sera plus forte que la politique des mandarins.

Une autre cause de bénéfices pour les Occidentaux a été l’empressement des Chinois à émigrer en Californie, en Australie, partout où ils espéraient échapper aux misères de leur pays en trouvant un emploi à leurs habitudes laborieuses et à leur génie mercantile. Cette émigration a été très nombreuse. On comptait 3,000 Chinois en Australie en 1854, et 10,000 au commencement de 1855, si bien que les colons s’en effrayèrent, et que la législature, suivant en cela l’exemple donné par la Californie, prit des mesures pour mettre un terme à cette espèce d’envahissement. Ces mesures ont restreint peut-être, mais elles n’ont pas arrêté l’émigration, qui donne lieu encore aujourd’hui à une navigation très active.

Il était impossible que ces prodiges de l’activité européenne et la prospérité qui en est la suite ne fussent pas troublés par ce qui restait de précaire et de mal établi dans les relations avec les autorités cantonnaises. L’Angleterre avait patienté pendant plusieurs années; mais les dénis de justice et les avanies de tout genre reprenaient leur cours, et se multipliaient de manière à faire présager une nouvelle crise. Quoiqu’il en coûtât de risquer l’interruption d’un commerce qui versait tous les ans plus de deux cents millions dans le