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Romains se laissèrent ravir tous leurs droits était l’indice certain d’un abaissement moral bien profond. Plus tard, le relâchement de l’esprit militaire alla toujours croissant, l’abdication de la dignité de citoyen et d’homme fut toujours plus complète. Au dehors, l’empire semblait encore puissant et assuré; mais il était la proie de cette maladie dont meurent les vieillards qui n’en ont point d’autres, l’impossibilité de vivre.

Le progrès de la décadence, arrêté par quelques bons et grands empereurs, reprit son cours après eux sous Commode. Dès ce moment, le malade ne se relèvera plus que par intervalles, retombant toujours sur son lit de mort, plus faible et plus épuisé, jusqu’au jour où il s’éteindra tout à fait. Cette décadence presque continue date du règne de Commode. Cependant on doit reconnaître que Septime-Sévère eut encore des qualités énergiques. Je m’arrêterai sur cet empereur, digne de quelque estime; mais avant je dois mentionner en passant les faibles concurrens qui disparurent devant lui, et d’abord leur prédécesseur Pertinax, puisque j’ai sous les yeux les bustes de ces hommes, et qu’à défaut d’autres monumens, les lieux qui virent leur élévation rapide ou leur mort non moins prompte me les rappellent.

L’extraction de Pertinax était obscure. Son père, affranchi et marchand de bois, louait aussi des boutiques; lui-même, tour à tour officier et chargé de l’administration des vivres, pendant son exil sous Domitien, fit le commerce par l’entremise de ses esclaves; il le fit encore étant empereur. Pertinax avait étudié quelque peu et même enseigné la grammaire; mais ayant fait, ce semble, à ce métier peu de profit, il quitta l’enseignement pour l’armée, et s’y distingua. Malgré ses goûts mercantiles, il y avait en lui du soldat. Le premier mot d’ordre qu’il donna fut : militemus, combattons. Ce mot d’ordre, remarque son historien, déplut aux prétoriens. Quel signe ! Il avait, comme Galba, du goût pour la discipline, et lui ressemblait par son avarice; mais il valait mieux que Galba[1]. Son élection fut fortuite et furtive. Les principaux auteurs du meurtre de Commode, meurtre auquel il avait pris part, lui donnèrent l’idée de se faire nommer empereur, et le conduisirent au camp des prétoriens. Il leur promit une gratification : c’était tout ce qu’ils demandaient. Ceux qui se trouvaient là le proclamèrent. Descendant le Quirinal, il se rendit de nuit à la curie pour faire ratifier son élection par le sénat : les empereurs créés par l’armée avaient coutume d’observer cette formalité; mais la curie était fermée, et le portier absent. Pertinax tra-

  1. Dion Cassius est très favorable à Pertinax, mais il avait ses raisons : lui-même nous apprend que l’empereur qu’il loue outre mesure, et dont il tait les cruautés, l’avait comblé d’honneurs, et qu’il lui devait la préture.